Page:Bonafon - Les Confidences d une jolie femme.djvu/78

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J’en conviens ; mais je ne fais point de comparaiſon entre quelques années d’attente, & une vie de chagrins. Mon Dieu, repris-je, vous vous abuſez encore : un tel délai dépendroit-il de vous ? Ma mere ne peut-elle pas vous forcer de prendre un mari de ſon choix ? — Me forcer, dites-vous ? Son pouvoir ne va pas juſqu’à me contraindre de prononcer moi-même l’arrêt de mon malheur : au pied de l’Autel je refuſerois d’y ſouſcrire…Tenez, ma ſœur, il faut être ſans caractere, ſans délicateſſe, pour aller, au gré d’autrui, former des nœuds déteſtés ; pour jurer une foi qu’on eſt sûre de ne pas garder ; pour ſe charger du bonheur d’un mari, quand on a la foibleſſe de renoncer au ſien propre. C’étoit par de ſemblables converſations que Mademoiſelle d’Aulnai cherchoit à m’élever l’ame, & que nous charmions les ennuis de notre ſolitude.

Un jour que le plaiſir du tête-à-tête nous avoit ſéparées de nos compagnes, nous tournâmes, ſans deſſein, vers une Chapelle qu’on rebâtiſſoit au fond de l’enclos. Penſez-vous que ces gens-là ſoient inſenfibles à l’appas du gain ? dis-je en montrant les ouvriers. Non, répondit ma ſœur ; mais qu’en voulez-vous conclure ? — Que par leur moyen je pourrai faire paſſer une lettre au Comte. — Gardez-vous-en bien ; vous n’en con-