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Canadiennes d’hier

deur pour peu que ça continue. Profitons de ce qu’il n’est pas encore habitué à sa nouvelle dignité pour nous faire raconter son voyage. »

Je suis entrée dans le jeu immédiatement. De mon air le plus invitant, j’ai dit :

« Venez vous asseoir ici, mon petit garçon, dans le fauteuil en face de moi, et dites-moi tout. Commencez par le commencement. Je suppose que le train est entré en gare de Lévis vers une heure… »

— Moins deux minutes, montre en main. J’ai dîné au « Restaurant de la Traverse » et tout en mangeant j’ai fait mon plan pour l’emploi de mon après-midi. Comme il était de trop bonne heure pour me présenter chez M. Carrière, j’ai décidé de me débarrasser en premier lieu de toutes mes affaires. J’avais douze cents livres de sucre à placer, — on rit pas de ça ; — ensuite, je voulais m’acheter un chapeau et des gants. La tire m’embarrassait ; je n’avais pas envie de l’avoir sur les bras tout ce temps-là, d’autant plus que je risquais de l’oublier sur quelque comptoir. J’ai eu l’idée de demander à Turgeon, le marchand de légumes de la basse ville, de l’envoyer porter par sa voiture de livraison. C’est un client de mon père, il s’en est fait un plaisir.

Je sortais de l’épicerie Grenier, rue St-Jean, sur le coup de quatre heures. Là, j’ai vu que, si je voulais revenir chez nous par le train du soir, je n’aurais pas le temps d’aller rendre visite à Mlle Carrière. Je me demandais si c’était bien nécessaire aussi. Dès que je lui avais fait parvenir la tire, ma commission se trouvait faite… puis, je me regardais aux vitrines des magasins, j’avais l’air bête

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