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Canadiennes d’hier

Mlle Pauline Bellanger à Mme Tessier
Ste-Martine, 10 juin 1913
Mme V. A. Tessier, St-Jean-Port-Joli.
Madame,

Vous vous demandez sans doute en quel honneur je vous écris et ce que je peux avoir de si pressé à vous dire puisque je dois retourner à St-Jean dans quinze jours.

Je n’abuserai pas de votre temps et de votre complaisance, je préfère parler franchement tout de suite. Je viens d’apprendre par ma sœur Démerise que vous avez entrepris de marier Jean Leclerc avec une demoiselle Carrière, de Québec. Vous ne devez pourtant pas être sans savoir qu’il a déjà été question de mariage entre Jean et moi. Je mentirais si je disais qu’il m’a demandée, — il est si curieux des fois, on dirait qu’il n’est pas dans sa vocation, — mais ses parents l’ont quasiment fait pour lui. Il va falloir qu’il prenne une décision prochainement parce que mademoiselle Louise est à la veille de manquer complètement. Pensez-vous, madame Tessier, qu’une demoiselle qui n’a jamais rien fait de ses dix doigts, est la personne qu’il faut mettre à la tête d’un gros train de cultivateur ? Malgré la meilleure volonté du monde, elle ne pourra pas s’accoutumer à la besogne ; c’est trop fort pour elle. Je ne la vois pas entrer à l’étable à 7 heures du matin, en hiver ou au printemps de bonne heure, en bottes sauvages, un fanal à la main, pour traire les vaches, sevrer les veaux et les accoutumer à boire en leur donnant ses beaux doigts à sucer. Je la vois

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