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Et, du torrent vengeur fuyant l’avide flot,
À Philippes bientôt les deux chefs du complot,
Maudissant la victoire à leurs drapeaux ravie,
D’une homicide main s’arrachèrent la vie.

Dans Trèves que jadis Rome appelait sa sœur,
Depuis tantôt mille ans, symbole de bonheur,
Aux regards des chrétiens s’étale et se dérobe
De Jésus immolé l’incorruptible robe.
Mais d’un glaive caché ce n’est point le fourreau :
Du sang de la victime et des mains du bourreau,
Qui cent fois la pressa dans une horrible étreinte,
Elle a, jusqu’à nos jours, gardé la double empreinte ;
Mais ni le prompt courroux, ni la haine sans frein,
Ni la pâle vengeance au sinistre dessein,
Ne viennent, sombres feux, sous les voûtes du temple,
Allumer leurs éclairs dans l’œil qui la contemple ;
Et si son aspect seul éveille le remord,
C’est pour semer la vie où germerait la mort.
Non, la grave Tunique, à la couleur sévère,
Qui ravive en nos cœurs le drame du Calvaire,
N’est point de la discorde un funeste brandon ;
C’est le signe de paix, d’amour et de pardon,
Par qui le mal s’efface et la faute s’oublie
Entre deux ennemis qu’elle réconcilie :
L’être le plus farouche est par elle charmé ;
Il venait menaçant, il s’en va désarmé,
Et, sur le seuil antique où la foule s’amasse,
Rencontrant son rival, il l’accoste et l’embrasse !
Alors qu’exaspéré par le ressentiment,
L’homme au crime toujours voulait un châtiment,
Si de Jules-César le vêtement magique
Put dans des flots de sang venger sa fin tragique,
Plus puissant, plus divin, celui de Jésus-Christ,
Au lieu du froid arrêt qui tue ou qui proscrit