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L’œuvre de Romain Rolland.
Son style. — Son influence.


La Vie de Beethoven, Tolstoï, Michel-Ange, Jean-Christophe, Colas Breugnon, Clérambault, et tant de pages d’histoire et de critique musicales, sont les fragments gigantesques et bien ordonnés d’une œuvre qui s’édifie, se complète peu à peu. On ne peut donc porter sur elle que des jugements inexacts et provisoires. Déjà on s’est trop hâté de juger Jean-Christophe dès les premiers volumes, sans même attendre la publication des deux tomes qui couronnent le livre et lui donnent son sens entier. On ne se prononce pas sur une fresque immense qui contient la vie d’un homme et d’un peuple, après en avoir aperçu quelques fragments d’un œil partial et distrait. On ne condamne pas au feu l’œuvre d’un homme parce que la lecture de quelques chapitres — un jour d’orage — ou de mauvaise digestion — vous a mis en colère. N’oublions pas que Michel-Ange ne permit au pape Jules II d’entrer en contact avec son Jugement dernier de la chapelle Sixtine, que lorsqu’il l’eût entièrement achevé.

Mais, telle qu’elle est déjà, l’œuvre de R. Rolland s’impose. Elle a son style, son esthétique, sa morale.

Par haine du mensonge livresque, par antipathie de toute méthode littéraire, par sincérité surtout, R. Rolland méprise la phrase. Il rejette la livrée quelle qu’elle soit : épithète mondaine ou phraséologie conventionnelle, il admet tous les mots aux mêmes honneurs et brutalise, s’il le faut, la syntaxe héréditaire. Certes, ce style, volontairement monotone, consciemment pauvre et