Page:Bonnerot - Romain Rolland sa vie son oeuvre.djvu/107

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comme une seule ligne, pour savoir, en conscience et vraiment, si elle est bonne ou mauvaise. Vous n’avez pas le droit de vanter la douceur de cette route ou de maudire à jamais sa dureté, si vous n’avez été son compagnon que pendant quelques instants : vous ne la connaissez pas. Un rayon de soleil ne suffit pas plus à illuminer un chemin, qu’une flaque de boue et un liseré de cailloux ne rendent tout son parcours cruel et malaisé. De la vie et de l’œuvre d’un homme, vous ne pouvez extraire une minute ou une phrase et, feignant de croire que cette minute ou cette phrase reflète et résume toute la vie et toute l’œuvre, porter un solennel jugement plein de fausseté.

En 1912, deux revues, l’une nivernaise, Ombres et Formes, éditée à Saint-Pierre-le-Moûtier, l’autre belge, Flamberge, publiée à Gand, ouvrirent une vaste enquête sur R. Rolland. Parmi les nombreuses réponses, une mérite d’être recueillie, c’est celle de Jules Claretie (Ombres et Formes, t. IV [1913], p. 4) : « R. Rolland, c’est plus qu’un talent, c’est une âme, c’est une conscience. Il est pour les générations vivantes un exemple vivant… en un mot, il est un guide », et lui même soulignait le mot. C’est à peu près les mêmes mots qu’employait récemment M. Georges Duhamel, l’auteur si humain de Civilisation et de la Vie des Martyrs, lorsque, dans un noble article de philosophie sur « l’écrivain et l’événement »,[1] il disait : « L’écrivain doit être un guide, un conducteur, un inspirateur ; il ne saurait, sans déchoir, devenir un serviteur soumis, un avocat à gages. Il allume le flambeau, il déploie l’étendard, il se fait bouclier ou glaive, il s’offre en holocauste », et montrait avec quel tranquille

  1. Mercure de France, 15 décembre 1919, pp 594 et 595.