Page:Bonnerot - Romain Rolland sa vie son oeuvre.djvu/94

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reposer quelques mois, se retremper dans la solitude et dans l’art bienfaisant, se récréer. Il sent qu’il est vain de vouloir trop tôt dissiper les nuages et projeter une aveuglante lumière. Est-ce une crise intellectuelle et morale où vont sombrer ses pensées, pareille à celle qui l’avait bouleversé il y a trente ans, à l’École Normale ? Va-t-il être obligé de chercher une certitude nouvelle sur laquelle il puisse bâtir sa vie ? Non ! Le salut, il va le trouver, comme il y a trente ans, dans la lecture et la méditation d’un philosophe pré-socratique, Empédocle d’Agrigente ; justement un savant italien, Ettore Bignone[1], vient de publier, en 1916, à Turin, dans la collection Il pensiero greco, une longue étude sur le vieux philosophe grec, avec une traduction italienne de ses fragments et des principaux témoignages antiques sur sa personne, sa pensée et son œuvre. C’est avec ce guide, rencontré « dans un pèlerinage sur la route des siècles… très loin à l’horizon de l’histoire hellénique », que R. Rolland se remet au travail ; il étudie les quatre cent cinquante vers qui seuls nous ont été transmis, fragments admirables qui « ont le charme fascinant des beaux marbres mutilés. Le rêve des siècles acheva le geste absent de la Vénus et la cadence interrompue de la pensée du poète ». Il cherche, il réfléchit et, en avril 1918, il écrit et publie dans la première série des Cahiers du Carmel une grave méditation philosophique sous le titre de : Empédocle d’Agrigente et l’Âge de la Haine[2]. Empédocle est contemporain de la victoire

  1. Empedocle, studio critico, traduzione e commenta delle testimonianze e dei frammenti, in-16, 688 pages, Turin, Bocca, 1916.
  2. Cf. Bibliographie n° 114. L’œuvre porte cette dédicace : « À l’évocateur énergique d’Olympischer Frühling, à Cari Spitteler qui, par delà les siècles, renoua la tradition des poètes-philosophes d’Ionie. En affection et respect. »