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CHARLOT S’AMUSE

de gamins ; mais, un jour, vinrent les confidences, au début naïves, bientôt étranges. La précocité de Lucien n’ignorait rien. Il se fit une joie d’instruire son cadet, le viciant peu à peu.

Une après-midi qu’on les avait conduits en promenade dans les bois solitaires d’Ormont, ils s’égarèrent seuls, loin des allées.

Le sol était couvert, dans les clairières sombres, d’aiguilles desséchées de sapin qui couvraient la terre d’un uniforme tapis brun, glissant comme du verglas. Là, les ramures confondues des arbres n’avaient jamais laissé filtrer le soleil, et ni houx, ni myrtilles n’étaient parvenus à percer l’épaisse couche accumulée. Les deux amis commencèrent à s’y rouler, improvisant des glissoires sur les pentes et se heurtant aux arbres, avec des rires joyeux, tout à leur plaisir. À un moment, Charlot tomba ; emporté par son élan. Lucien roula sur lui, le culbutant, et ils restèrent alors étendus, soufflant époumonés, envahis d’une lourde lassitude.

Ils se taisaient, n’entendant dans le grand silence de la forêt que leur respiration haletante et le cri saccadé des pies grièches. Les troncs moussu et le feuillage épais bornaient leur vue de tous côtés, et, couchés sur le dos,