Page:Bonnetain - Charlot s'amuse, 1883.djvu/177

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
165
CHARLOT S’AMUSE

allait, l’air braque, les bras ballants, les jambes molles, et comptant les pavés.

Le plus souvent, il descendait la Grande Rue jusqu’à la rue du Collège, tournait à gauche et gagnait le faubourg. L’agacement que lui causait, en chemin, la rencontre fastidieuse des choses trop rencontrées déjà, se fondait, dès les premiers pas, en une mélancolie lâche qui l’amollissait, lui enlevant toute velléité d’impatience. Les objets inanimés ne lui disaient plus rien, et, dans son cerveau détraqué, il sentait comme un creux où dansait seulement une mobile et cuisante perception, lorsque, dans le silence des nuits solitaires ou dans l’ombre des bois, il s’abandonnait, à bout de forces, mais retrouvant, l’ignoble accès passé, son hébétement antérieur.

Et il marchait d’un pas mécanique, s’arrêtant, chaque jour, aux mêmes endroits, regardant les mêmes points. Devant la maison de M. Gérard, le notaire, il relevait chaque fois la tête, avec une régularité de mécanique, comme si les panonceaux de cuivre, dont les bosselures s’irradiaient sous le soleil, lui eussent invinciblement soutiré un coup d’œil. Après, c’était le jardin du notaire, dont la verdure, dépassait la muraille. Il murmurait machinalement :

— Tiens ! le seringha est en fleurs…, fai-