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SUR L’ART


L’Art ne saurait souffrir de verrou ni de chaîne ;
Il brise tout lien qui l’entrave ou le gêne.
Il prend pour lui le ciel, le temps, l’immensité,
Il ne met sous sa dent qu’un pain de liberté.
Au théâtre surtout il veut son coude à l’aise,
Pour y pétrir les mœurs comme ou pétrit la glaise,
Pour y jeter l’aumône aux rois, ses courtisans,
Un peu de gloire aux bons, des sarcasmes brûlans
Aux méchans, qu’il flétrit, qu’il traîne sur la claie
À la postérité, perpétuant leur plaie.
L’Art, seconde nature, infini créateur,
Des choses d’ici-bas hardi rénovateur,
S’en va se gorgeant d’or et prenant pour pacage
L’univers et ses dieux. — C’est un lion sans cage,
Ni cornac. — C’est un fils du désert indompté,
Courant, caracolant parmi l’humanité,
L’humanité qui suit avec un respect rare
Les vestiges, les pas de sa marche bizarre.
L’Art vrai sur tous les flots toujours vogue en aval.
Il est jaloux, tyran, et n’a point de rival.