Page:Borel - Champavert, 1833.djvu/96

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crique, où se trouvaient amarrées deux pinasses et une balancelle en radoubs. Le sol était jonché çà et là de bois en grume, de billots et de madriers.

Jaquez Barraou avait encore sa chemise rayée et ses vêtements de travail ; pourtant, lui, si religieux, n’avait point travaillé, car c’eût été péché mortel. Il était pieds nus. Dans toute sa personne régnait un nonchaloir qui contrastait avec son maintien énergique. Sous sa laine crépue et noire roulaient deux gros yeux blancs : souvent, il les promenait sur la mer et sur le terroir environnant ; souvent, il les soulevait aux cieux, puis les reportait fixement sur La Havane, sourcillant et lançant avec mépris des bouffées d’une fumée bleue qu’il aspirait d’un long cigare.

Il eût été difficile de s’expliquer les mouvements et les brusques soupirs de cet homme ; son regard, chagrin et menaçant, qu’il arrêtait tantôt sur la vaste mer des Antilles, dont il semblait mesurer l’étendue, et que tantôt il jetait sur la ville, aurait pu faire penser qu’il était abîmé dans des rêves nostalgiques ; que son cœur était meurtri par le mal du pays, cet amour