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Page:Borel - L’Obélisque de Louqsor, 1836.djvu/7

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nation, croirez-vous l’avoir fort rehaussée, quand vous aurez enfoui dans la vase de la Tamise, ou dans la boue de la Seine, l’œuvre de deux ou trois mille ans, les chefs-d’œuvre de quinze ou vingt peuples ; quand vous aurez empilé dans vos carrefours et dans vos magasins, Romains sur Étrusques, Égyptiens sur Hindous, Italiens sur Arabes, Grecs sur Mexicains ?

Chaque chose n’a de valeur qu’en son lieu propre, que sur son sol natal, que sous son ciel. Il y a une corrélation, une harmonie intime entre les monuments et le pays qui les a érigés, qu’on ne saurait intervertir impunément.

Il faut à la pyramide un ciel bleu, un sol chauve, l’horizontalité monotone du désert ; il faut la caravane qui passe à ses pieds ; il faut les cris d’une population éthiopienne qui se meut, ou il faut la solitude et les hurlements du chacal.

Il faut aux sphynx de granit les longues avenues des temples des Pharaons ; il faut, ou ces hordes bizarres qui s’entre-tuèrent à leur ombre, ou les ruines silencieuses de Karnac.

Il faut aux obélisques les pilones du temple, il faut le culte du soleil, il faut l’idolâtrie de la multitude, ou il faut le désert.

Ces monuments qui versent tant de sublime poésie sur les sables arides des Saharas, qui proclament la grandeur, la puissance, le génie des races passées, traînés dans le sein de nos villes, deviennent mornes, muets, stupides comme elles.