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I.


Personne, ou à peu près, ne conteste l’utilité de la science, lorsqu’on en parle en termes généraux ; mais si, au lieu de s’en tenir aux généralités, on va dans le détail, combien peu de travaux scientifiques échapperaient à la critique et ne seraient-ils pas déclarés oiseux et inutiles, non seulement par des demi-ignorants, mais encore par des savants fort qualifiés. Combien de travaux scientifiques publiés au XIXe siècle, quelques-uns par des hommes fort estimés, nous apparaissent aujourd’hui comme tout à fait inutiles !

Combien d’autres dont l’utilité n’apparaîtra peut-être que dans plusieurs siècles ? Une société qui prétend contrôler sévèrement la distribution des richesses aurait-elle laissé s’accumuler ces travaux superflus ? Sans doute, leurs auteurs étaient souvent en même temps des professeurs, qui rendaient dans certains cas de réels services par leur enseignement ; mais, même dans ces cas, on exigeait d’eux, dans les Universités un nombre fort restreint d’heures de service, afin de leur laisser du temps pour leurs travaux personnels. Combien parmi ces hommes, dans l’ensemble de leur longue carrière, ont-ils produit réellement des résultats en rapport avec ce qu’ils ont coûté !

On peut, à cette question brutale, essayer de répondre en plaidant le thème bien connu de la construction patiente de l’édifice de la science ; telle pierre apportée par un ouvrier obscur, le calcul des éléments d’une millième petite planète, ou l’étude (les propriétés d’un millième composé du carbone, sera peut-être d’une importance capitale et permettra-t-elle un progrès décisif à tel théoricien de l’avenir. À mon avis, cette réponse ne saurait être entièrement satisfaisante. Il est trop aisé d’y objecter que, s’il est nécessaire pour l’avenir de l’astronomie et de la chimie que certaines opérations soient répétées des millions de fois, il sera facile d’organiser ce travail sous une forme industrielle et quasi mécanique et qu’il n’y faut pas de vrais savants ; en fait, peu de ceux qui sont payés pour faire de la science consentent à se livrer exclusivement à ces besognes automatiques ; ils prétendent faire œuvre personnelle et parfois n’aboutissent à rien, parfois aboutissent à des travaux qui valent un peu moins que rien. Il n’est peut-