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Page:Bornier - Œuvres choisies, 1913.djvu/237

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J’obéis à César, en tout temps, en tout lieu,
Mais César à son tour doit obéir à Dieu !

ELYMAS

Je ne te comprends pas.

PAUL

Comprends, toi, sombre foule !
Voilà cent ans bientôt, sur ce sol que je foule,
Deux grands partis rivaux tout un jour ont lutté :
Antoine, Lépidus, Octave, d’un côté ;
De l’autre, les derniers républicains de Rome,
Cassius et Brutus, qu’avec respect je nomme.
Ce fleuve, ces marais, ces monts qui sont là-bas,
Virent l’écrasement de cent mille soldats ;
Mais des républicains la valeur fut trompée,
Et Brutus, dans son sein enfonçant son épée,
Voyant quel avenir allait naître bientôt,
Dit, dans son désespoir : « Vertu, tu n’es qu’un mot ! »
Les Césars t’ont donné raison, triste prophète,
Et de leurs crimes fous la terre est stupéfaite.
Mais ce temps passera, ces hommes passeront ;
Des maîtres plus cléments et plus justes viendront ;
Car la vertu n’est pas un mot sonore et vide,
Et même en se cachant au monde, elle le guide !
Un jour tous ces Césars, tragiques ou bouffons,
Atomes sous le poids desquels nous étouffons,
Sinistres voyageurs qui traversent l’histoire
Comme des loups hurlants dans la montagne noire,
Sentiront tressaillir la terre sous leurs pas
Et paraître quelqu’un qu’ils ne connaissaient pas !
Ce sera ton Dieu, peuple ; il brisera tes chaînes,
Te conseillant, non pas les vengeances prochaines,
Ni même la révolte à l’œil ensanglanté,
Mais la paix dans le droit et dans la vérité !
Ton Dieu sera le Dieu de la misère humaine,
Le doux maître qui n’a que nos cœurs pour domaine,
Et le monde dira : C’est lui que j’attendais !
Les faux prêtres alors pâliront sous le dais,