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Page:Bornier - Œuvres choisies, 1913.djvu/244

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Hélas ! Depuis le jour où, dans l’ombre et l’effroi,
Un homme fou cria : Cette femme est à moi !
Depuis ce jour maudit perdu dans les vieux âges,
Les hommes les meilleurs, les plus doux, les plus sages,
Juifs ou païens, Romains ou Grecs, depuis ce jour,
Ont mis la honte où Dieu voulut mettre l’amour !
La femme, ange vaincu, meurtri, traînant son aile,
Depuis quatre mille ans est l’esclave éternelle ?
Fille, un mari l’achète au père qui la vend ;
Veuve, son fils, son frère un étranger souvent,
Dit : La loi me la donne ! Elle n’a qu’à le suivre :
Si bien que, jusqu’à l’heure où la mort la délivre,
Elle a pour seul bonheur qu’elle puisse obtenir
De porter dans ses flancs ses tyrans à venir !
Mais quelqu’un est venu briser ce joug infâme,
Il a mis une étoile au front blanc de la femme !
Il a fait d’elle, au lieu de l’esclave dompté,
L’éternelle vertu, l’immortelle bonté ;
Et pour forcer enfin l’ironie à se taire,
À l’homme dont l’orgueil la courbait jusqu’à terre
Il dit : Au haut du ciel, dans l’ombre du saint-lieu,
Regarde ! C’est ta mère à côté de ton Dieu !

LYDIE

Dieu de lumière ! angoisse ineffable et suprême !
Un bras mystérieux m’arrache de moi-même ;
Je ne résiste plus, l’Invisible est vainqueur,
Et tout l’azur du ciel me descend dans le cœur !
Je suis chrétienne.

FAUSTUS

Et toi, Mégara ! Puis-je lire
Dans ta pensée au fond de ton vague sourire ?
N’as-tu donc pas compris, quand le maître a parlé,
Ma prière muette et mon espoir voilé ?
Je ne suis pas le maître éloquent et sublime
Qui va chercher une âme et l’arrache à l’abîme,
Mais si ton âme encor résistait à sa voix,
Je serais malheureux pour la première fois ?