Aller au contenu

Page:Bornier - Œuvres choisies, 1913.djvu/259

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

PAUL

Ce serait trop d’orgueil, Lydia, je l’avoue ;
Mais le ciel à jamais veut que je me dévoue,
Puisqu’il ne m’a donné, sans doute pour mon bien,
Ni foyer, ni parents, ni sœur, ni frère, — rien !

LYDIE

Qu’en sais-tu ? N’est-il pas pour le maître et l’apôtre
Une fraternité plus douce que toute autre ?
Tous tes amis d’hier sont tes frères déjà ;
Au sortir de cette ombre où l’erreur les plongea,
Ils ont pour toi, sauveur de leur longue détresse,
Une mystérieuse et profonde tendresse ;
— Tes frères, les voilà ! Tu n’aurais pas besoin,
Si tu cherchais tes sœurs, d’aller chercher plus loin ;
C’est Mégara, chantant sa foi comme une aurore,
C’est Gyrine, chrétienne aussi, d’autres encore.
Que te manque-t-il donc pour rester parmi nous ?
Une épouse, peut-être, un amour chaste et doux ?
Ta foi te le permet.

PAUL

Une épouse, Lydie !
Par l’automne déjà la terre refroidie
Demande-t-elle au ciel triste que nous voyons
Les souffles du printemps, ses fleurs et ses rayons ?
Quelle épouse, Lydie, à ma dure fortune
Pourrait jamais s’unir ?

LYDIE

Peut-être il en est une.
De ce qu’elle te doit ne sais-tu pas le prix ?
Puisqu’elle le comprend, ne l’as-tu pas compris ?
Son âme, à peine née, avait eu pour nourrice
Cette double mamelle obscure : l’avarice
Et l’orgueil ! Elle avait la froide cruauté
Que donnent la richesse et parfois la beauté ;
Pas un rayon d’en haut ! La tristesse glacée
Vivait comme un reptile au fond de sa pensée ;