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CHAPITRE IV.

l’entraîne, le précipite : il faut atteindre une proie moqueuse, qui se joue de tous les efforts. Sans doute la pénitence touche à son terme ; voilà déjà bien des jours, bien des mois, bien des années, des siècles même, que la biche errante est poursuivie et presque aux abois ; elle se lasse à la fin, elle semble désireuse d’être vaincue, le moindre obstacle va trancher sa course ! Erreur : les ravins se comblent, les coteaux s’aplanissent, les buissons se détournent, les halliers s’éparpillent, les arbres se reculent, le chemin se redresse et s’élargit ; la biche reprend sa fuite victorieuse, tandis que la sombre troupe des chasseurs nocturnes, écumant de fureur, redouble l’impétuosité de sa course insensée. Mais un rayon matinal perce les ténèbres de la nuit, Satan rappelle à lui ses cohortes obéissantes ; alors le gouffre béant de l’enfer étreint la chasse maudite, et la dérobe pour quelques heures à l’épouvante des vivants[1].

Telle existe, dans ses données générales, la superstition des chasses fantastiques ; il nous reste à examiner maintenant comment cette croyance s’est spécialisée en Normandie.

Récapitulons d’abord les différentes dénominations qu’emprunte la chasse nocturne, dans notre province. Nous avons indiqué déjà les noms de Chasse Proserpine, ou Chéserquine, de Chasse Caïn, Chasse Arthur ou Artus ; ajoutez ceux de Chasse Saint-Hubert, Chasse Saint-Eustache, Chasse du Diable, Mère Harpine, Chasse Hennequin, Mesgnie Hellequin ou Herlequin[2].

La plupart de ces dénominations n’ont déjà plus besoin d’être expliquées au lecteur. Ainsi, saint Eustache, saint Hubert, patrons des chasseurs, avaient droit au commandement de la chasse aérienne, qui est pour eux, comme pour les Machabées, une glorieuse apothéose. Le surnom de chasse du Diable

  1. Du Mège, X. Marmier, Walter Scott, ibid.
  2. Odolant Desnos, Descript.  du département de l’Orne, in-8, p. 65. — Louis Dubois, Ann. statist. de l’Orne, 1809.