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LES FÉES.

d’une divinité gauloise habitaient l’île de Sein[1]. Ces prêtresses, douées d’un pouvoir surnaturel, commandaient aux vents, aux flots, empruntaient la forme de divers animaux, guérissaient les maladies les plus incurables, connaissaient l’avenir, et le prédisaient, surtout aux navigateurs. On nommait ces prêtresses-fées : Gallicènes ou Barrigènes.

Le souvenir des Barrigènes se conserva dans l’Armorique, qui fut toujours considérée comme le principal séjour des fées. Seulement, leur résidence n’était plus l’île de Sein, mais la forêt de Brocheliant, près Quintin. Tout ce qu’on racontait des merveilles opérées en ce lieu, excita Wace à aller le visiter. Il faut croire, cependant, que le bon temps de la féerie était passé déjà, car notre poète se montre, au retour, sceptique et désenchanté, et se raille lui-même sur l’issue de son voyage :

Là alai jo merveilles querre,
Vis la forest è vis la terre ;
Merveilles quis, maiz nés trovai ;
Fol m’en revins, fol i alai,
Fol i alai, fol m’en revins,
Folie quis, por fol me tins[2].

Lors même que les documents historiques ne nous démontreraient pas que la croyance aux fées régnait déjà dans la Bretagne avant l’invasion scandinave, la facilité avec laquelle les Normands abandonnèrent leur langue maternelle, et le prompt oubli où ils laissèrent tomber les traditions de leur ancienne patrie, nous empêcheraient de reconnaître qu’ils ont enrichi la France d’un merveilleux nouveau. « Nous n’avons pas de preuve, dit M. Depping, qu’une Saga, ou récit de Scaldes, ait été connu des poètes anglo-normands. Le souvenir des poésies nationales était effacé chez les descendants des

  1. L’île de Sein est située près de la pointe Audierne, à l’extrémité du Penmarck, ou du cap le plus avancé à l’ouest de la Bretagne.
  2. Wace, Roman de Rou, t. ii, p. 144, v. 11,534.