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CHAPITRE V.

pandait l’abondance dans les lieux qu’elle fréquentait[1]. Dame Abonde, à la tête de ses fantômes, était confondue avec le démon, chef des chasses fantastiques : Diane ou Hérodias. Mais notre fée se rapprochait d’autant mieux de Diane, que les anciens prêtaient souvent à cette dernière, sous le nom de Proserpine, les attributs de Cérès[2].

Toutes ces traditions, si elles ont eu cours dans la Normandie, comme on n’en peut douter, sont maintenant à peu près effacées ; on ne connaît plus les Dames blanches que par leurs embûches perfides. Il est vrai de dire, cependant, qu’elles cherchent plutôt à attirer l’attention des voyageurs qu’à leur causer quelque peine, ou à leur occasionner quelque dommage. On pourrait croire qu’il y a beaucoup de coquetterie dans leur fait, car il suffit d’un procédé gracieux, d’une complaisance polie, pour les gagner : leur prêter la main, par exemple, pour figurer à une danse, ou leur donner le bras pour traverser une planchette ; elles remercient, alors, avec force révérences, et disparaissent à la plus belle, comme fait une actrice vis-à-vis du public qui l’applaudit. Une de ces fées, nommée la Dame d’Aprigny, avait coutume de se livrer à ses ébats nocturnes dans une sorte de ravin tortueux et étroit, qui occupait autrefois l’emplacement de la rue Saint-Quentin, à Bayeux ; quand un voyageur se hasardait au milieu de ce chemin suspect, la dame d’Aprigny ne manquait pas de se trouver à sa rencontre. Elle s’ingéniait d’abord à lui barrer le passage par les enlacements de sa danse, et lui offrait ensuite gracieusement la main, pour qu’il prît part à son folâtre plaisir. Si le voyageur acquiesçait au muet désir de la dame, il en était quitte pour une ronde de quelques minutes ; mais si la peur le faisait reculer, la fée en courroux se saisissait de lui, le lançait dans les fossés environnants, où il se trouvait em-

  1. Guillaume d’Auvergne, De universo spirituali, part, ii, § 2, c. 12, édit, de 1674, p. 1036 ; cité par le baron de Reiffenberg, Chronique de Philippe Mouskes, Introduction, p. cxliii.
  2. Biographie universelle, Myth., art. Proserpine.