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ANIMAUX FABULEUX.

la Chicheface était une bête aussi disgracieuse de sa personne que dépravée dans ses goûts. Elle était douée d’instincts féroces très prononcés ; mais, par une perversité fort étrange, sa cruauté ne s’attaquait jamais qu’aux bonnes femmes ; elle semblait avoir juré d’en détruire la race, tandis qu’elle épargnait les méchantes femmes avec une prédilection toute sympathique. Voici comme le poète s’exprime au sujet de la Chicheface :

Laide estoit de cors et de fâche,
L’en l’appeloit la Chincheface ;
............
La beste parest si sauvage
C’onques nus hom tèle ne vit.

Il trace ensuite le tableau des déportements du monstre :

Or vous dirai dont ele vit :
Des preudes fames dévorer
Qui sagement savent parler.
............
Quant la fame a tant de bonté
Que de tout fé la volenté
De son seignor sanz contredit
Cèle ne puet avoir respict
Que tantost ne soit devorée.
N’en i a nule demorée
En Toscane n’en Lombardie
Meismement en Normandie
Ne cuit-je pas qu’il en ait douze.

Enfin le poète s’adresse aux dames, pour leur offrir un moyen de déjouer la malice cruelle de la bête :

« Pour Dieu, Dames, dit-il, si la beste vient en ce pays, entourez-vous d’orgueil et de dédains ; si votre mari vous parle, répondez-lui tout à rebours ; s’il veut pois, qu’il ait gruau ; gardez-vous bien de rien faire qui lui soit agréable ; alors il faudra bien que la Chicheface meure de faim. »