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CHAPITRE XIV.

grand’mère ! » puis s’échappe du lit. Le père et la mère se lèvent à leur tour, appellent leur enfant sans obtenir de réponse, le cherchent dans tous les recoins de leur appartement, mais ne parviennent pas à le découvrir. Cependant le bruit du rouet, qui continue à se faire entendre, stimule encore leur inquiétude, augmente leur effroi. Enfin, le jour arrive, le rouet s’arrête : il est chargé d’un fil mince et soyeux, et l’enfant tout frais et tout riant s’agite aux pieds du lit. Pendant deux autres nuits, la même merveille se renouvelle. La fille, à qui nombre d’évènements du même genre ont été remis en mémoire, comprend que c’est sa négligence à acquitter la promesse faite à sa mère, qui a occasionné ces accidents nocturnes. Elle se hâte de faire célébrer la messe promise, et, par cet acte de piété, elle rend à sa mère le repos d’une sainte mort, et, à son enfant, la paix de son innocent sommeil[1].

Les revenants se montrent ordinairement sous la figure qui leur appartenait de leur vivant ; ils conservent même jusqu’à l’apparence des vêtements qu’ils avaient l’habitude de porter. C’est en quoi leurs apparitions se distinguent de celles des damnés, du démon et des méchants esprits, qui affectent le plus souvent des formes d’animaux. Cependant, on croit aussi, et cette opinion s’appuie sur un grand nombre de preuves, que les morts reviennent quelquefois en pigeon blanc. Dans les idées chrétiennes, il doit, en effet, convenir aux ames d’emprunter une forme sous laquelle s’est manifesté l’esprit saint.

Le souvenir de Jeanne d’Arc, en se rattachant à cette superstition, l’environne d’un intérêt tout particulier. Frère Isambard de la Pierre, un des témoins entendus lors de la révision du procès de Jeanne, rapporte qu’un homme d’armes anglais voulut se confesser à lui le jour de l’exécution ; que cet homme s’accusa d’avoir, par haine pour la suppliciée, ajouté un fagot à son bûcher. Cependant, il se repentait gran-

  1. Note communiquée par M. A. Canel.