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CHAPITRE XIX.

avec inquiétude, avec effroi. Enfin, les plaintes deviennent plus saisissables, des voix s’élèvent avec énergie, s’efforçant de dompter les suffocations de la douleur : « Marcouf, Marcouf, s’écriaient ces voix gémissantes, pourquoi viens-tu nous tourmenter ? Veux-tu nous forcer de nous enfuir de notre refuge ? Ah ! du moins, ne nous contrains pas à retomber dans l’abîme ! »

Ces paroles étranges parviennent jusqu’aux oreilles du roi. Il commande qu’on lui amène le saint personnage qui provoque un tel trouble parmi les puissances infernales. Marcouf vient se jeter aux pieds de Childebert. Aussitôt les démons, logés dans le corps des possédés, s’échappent de leur asile, en froissant l’air avec fracas, comme une troupe effrayée d’oiseaux nocturnes. Les uns font éruption par la bouche, les autres par le nez, par les yeux ou par les oreilles des possédés, et les flots d’un sang noir et épais, qui prend son cours à leur suite, signalent cette surnaturelle opération. Sur ces entrefaites, Marcouf explique au roi l’objet de sa mission ; sa requête est accordée sur-le-champ. Que pourrait-on refuser à un homme dont la puissance mystérieuse vient de se produire par un tel coup d’éclat ? En peu de temps, Marcouf put retourner à Nantes, et travailler efficacement à la fondation de son monastère.

On raconte encore que, dans la suite, la communauté, qui vivait sous les lois de Marcouf, prit un si grand accroissement, que le saint éprouva le besoin de se ménager une retraite dans un lieu plus solitaire. Il avait fait choix, pour cet objet, d’une île inhabitée sur la côte du Cotentin. C’est là qu’il fut assailli par une de ces tentations séductrices, dont le démon se plaisait à éprouver les plus courageux ascètes.

Un certain soir, une tempête violente s’étant élevée sur la mer, notre pieux solitaire suppliait le Seigneur d’épargner sa colère à ceux qui étaient exposés au naufrage. Tout-à-coup, on interrompt sa prière : une femme mourante, transie par l’eau qui inondait ses vêtements, et toute brisée d’une lutte désespérée contre les vagues, se présente à la porte de la cellule