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CHAPITRE XX.

laissa leurs corps abandonnés pendant la nuit. Mais le Seigneur ne souffrit point que les dépouilles de ses saints demeurassent exposées, sur la terre baignée de leur sang, aux outrages de leurs ennemis : une brise céleste vint leur communiquer un souffle de vie ; le rayon d’un astre propice pénétra les ombres de leur regard éteint ; l’onde, avec un murmure harmonieux, les invita à se confier à son flot obéissant, et leurs anges gardiens, accourus pour contempler ce miracle, guidèrent nos martyrs jusque dans une île située au milieu de la rivière. C’est à cet endroit que leurs corps furent retrouvés le lendemain, par une sainte femme nommée Pience, et un chrétien nouvellement converti, autrefois prêtre des idoles, et portant le nom de Clair, qui leur rendirent les derniers honneurs. Dans la suite des temps, une chapelle fut érigée en ce lieu appelé Gany-l’Isle ; le gué, que les saints corps firent découvrir par leur miraculeuse traversée, conserva le nom de Gué Saint-Nicaise[1].

Une preuve bien évidente que tous ces combats des saints contre des animaux monstrueux doivent être compris au figuré, c’est qu’il est arrivé à certains légendaires de faire jouer, au démon même, le personnage du dragon. On se convaincra de la vérité de cette observation en lisant l’épisode suivant de la légende de saint Nicaise, d’après un manuscrit du xiie siècle :

« Sur les bords de la Seine, dans un lieu appelé Monticas[2], s’élève une énorme roche sous laquelle est une caverne dont le diable avait fait sa demeure. Cet endroit de la Seine était devenu si dangereux pour les voyageurs, et surtout pour les mariniers, qu’aucun bateau, chargé ou vide, ne pouvait passer par là sans être submergé. Saint Nicaise et ses compagnons, venant vers ce lieu, entendirent parler des iniquités de ce dé-

  1. Trigan, Hist. ecclésiast. de la province de Normandie, t. I, p. 2 et suivantes.
  2. Ou Mont-Icas.