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CHAPITRE XXIII.

tions pour goûter la liqueur enchantée que son amante présente en vain à ses lèvres ? Il lui faudrait modérer l’élan de son cœur, et le but est là, devant lui ; il y touche presque, et peut-être aura-t-il la gloire de l’avoir atteint sans autre aide miraculeuse que son amour. L’espace se rétrécit de plus en plus rapidement sous ses pas. Il ne marche plus, il court, il s’élance, il n’a plus qu’un pas à faire, un seul, et ce pas est franchi ! Alors il se laisse tomber sur la terre, dans l’accablement de la fatigue et du bonheur. Les applaudissements retentissent de toutes parts ; la foule frémit de joie, de sympathie, d’enthousiasme. On attend, avec impatience, le moment où les deux amants vont répondre, par un signal, à ces transports délirants. Mais, au sommet de la montagne, tout est muet, nul mouvement même ne se fait apercevoir. L’attente se prolonge quelques instants encore ; enfin, les plus empressés gravissent, à leur tour, la montagne. Quel spectacle ! Les deux amants, si beaux, si jeunes, si tendrement épris, si heureux de leur triomphe, sont étendus morts aux côtés l’un de l’autre.

La jeune fille, pour retenir l’âme errante de son bien-aimé, avait tenté d’épancher sur ses lèvres quelques gouttes de la liqueur enchantée ; mais il était trop tard ; le courageux amant avait épuisé jusqu’au dernier souffle de sa vie, et le moment irrémédiable était accompli ! Convaincue de la triste vérité, la pauvre enfant, à son tour, s’était abandonnée à la mort, comme au plus doux refuge de sa douleur et de son amour.

Le flacon, échappé à la main languissante de la jeune fille, se brisa sur le flanc de la montagne, et la liqueur merveilleuse s’étant épanchée, sa vertu féconda le sol, et lui fit produire toutes sortes de plantes médicinales et d’herbes bienfaisantes, qui opèrent encore de nos jours de miraculeuses guérisons[1].

  1. Tous ces détails, et ceux qui précèdent, sont empruntés particulièrement au Lai des Deux-Amants, t. i, p. 252 des Poésies de Marie de France.