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CHAPITRE XXIII.

et en remit une moitié à sa femme, comme marque de la communauté d’affection qui demeurait entre elle et lui.

Les chrétiens firent de grands exploits dans cette nouvelle croisade ; mais la protection du ciel ne se déclara point en leur faveur : leur armée fut taillée en pièces ; beaucoup de seigneurs furent faits prisonniers. Au nombre de ceux-ci se trouvait le sire de Bacqueville. Il passa sous la domination de différents maîtres, pendant l’espace de sept ans, nul ne se souciant de garder cet esclave, qui était vieilli et cassé plus encore par le chagrin et par les fatigues que par les années. En vain le malheureux exilé envoyait à sa femme message sur message pour qu’elle lui fît parvenir une rançon ; il ne recevait ni argent ni réponse. Sur la fin de la septième année, le dernier de ses maîtres, plus inhumain et plus intraitable encore que tous les autres, prononça l’arrêt de mort du pauvre prisonnier, trouvant que le mince bénéfice qu’il retirait de son service ne valait pas la joie de savourer une cruelle vengeance contre un chrétien. Malgré sa parfaite résignation, Guillaume Martel ressentit un profond regret de mourir dans un pays païen, délaissé de tous ceux qu’il avait aimés. À défaut de secours humains, notre brave chevalier s’en remit à la miséricorde de Dieu, et fit vœu à saint Julien, en qui toujours il avait eu grande dévotion, de lui bâtir une chapelle, si, par sa protection, il se tirait de cette extrémité. Or, ceci se passait la veille du jour fixé pour son supplice. Sa prière terminée, notre prisonnier s’endormit. Après avoir sommeillé quelques heures, du moins à ce qu’il lui parut, il s’éveilla et ouvrit les yeux en jetant autour de lui un regard de détresse, car il croyait se retrouver encore entre les murs de son cachot. Mais, quelle ravissante surprise ! le brave chevalier vit, au contraire, qu’il était au milieu d’une forêt, étendu sur le gazon ; abrité par le dôme des arbres, baigné par un air rassérénant, et, ce qui lui confirma surtout sa délivrance, il se trouvait revêtu des habits de sa condition ; en outre il ne portait plus sa cadène d’esclave. Lors-