Page:Bosquet - La Normandie romanesque.djvu/504

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
471
LÉGENDES ROMANESQUES.

cette époque, par un prodige d’amour tout-à-fait analogue à celui auquel Héro et Léandre ont dû leur célébrité, l’abbé traversa chaque nuit la Seine à la nage, sans autre phare que la lampe, aux douteuses vacillations, qui éclairait la chambre de sa bien-aimée. Malgré la fatigue et le péril de ces rendez-vous, nos deux amants en firent un abus si imprudent, que le seigneur châtelain conçut bientôt de jaloux soupçons. Une nuit, il pénétra dans l’asile des deux coupables, tua l’abbé et enferma sa femme dans le donjon du château. Jusqu’à la révolution, les moines de Saint Georges ne cessèrent point de prier pour l’ame de leur abbé, mort sans absolution ; se confiant encore, pour son salut, sur la compatissante maxime du Sauveur : Qu’il sera beaucoup pardonné à ceux qui auront beaucoup aimé[1].


la dame du manoir-fauvel.


Dans la commune de Trouville-la-Haule, canton de Quillebeuf, se trouve le bois du Manoir-Fauvel. Au milieu de ce bois, quelques vestiges de construction, affectant la forme d’une tour, semblent indiquer l’emplacement d’une ancienne forteresse. La tradition a placé en ce lieu la demeure d’une femme, célèbre par l’ascendant irrésistible de sa grâce et de sa beauté. Malheureusement, des qualités aussi séduisantes s’accordent peu avec une existence paisible, et la charmante châtelaine du Manoir-Fauvel eut à redouter un voisin bien dangereux ; c’était un roi mérovingien qui habitait le palais d’Arelaunum[2].

D’ordinaire, un roi est un amant bien moins aimé que favorisé : l’absolutisme de l’amour n’a ni charme ni grâce dans celui à qui toute autorité est départie ; il semble alors trop difficile à l’amante de distinguer quelle sorte de

  1. F. Shoberl, Excursions in Normandy, vol. ii, p. 200.
  2. Nom latin de la forêt de Bretonne. Le château royal, qui portait aussi le nom d’Arelaunum, était situé à Vatteville, paroisse peu éloignée du Manoir-Fauvel.