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CHAPITRE III.

du moustier. Alors le duc, détournant la tête, vit le mort qui tentait de se lever ; sans aucune épouvante, il lui ordonna avec mépris de se tenir en repos :

Tornez arrère, couchez vos[1].

Le mort fit mine d’obéir, mais, tandis que le duc recommençait son oraison, il se dressa sur son séant et saillit vitement hors la bière. Adonc le duc Richard voulut sortir, en un trait tira sa bonne épée ; mais le mort se jeta à la traverse, barra le passage au duc, et l’accola si étroitement, que celui-ci y aurait eu la fin de sa vie s’il n’eût transpercé le maudit d’un seul coup. Le corps jeta un cri épouvantable ; puis, à deux mains, se saisit d’un énorme chandelier de fer, et, tout en fureur, le lança à Richard.

Ne l’ateinst pas, Deus l’en gari,
Parmi les ais del us feri,
E par mi les quarreiaus serrez
Plus de dous piez i est entrez[2].

Par suite du violent effort avec lequel il avait lancé son coup, le corps trébucha et retomba à plat dans sa bière. Alors, Richard sortit de l’église, détacha son cheval, et déjà son pied s’appuyait sur l’étrier, quand il se ressouvint de ses gantelets, qu’il avait, par oubliance, laissés sur les marches de l’autel. Tout aussitôt, il retourne les chercher, entre dans l’église, fait une adoration à la vierge Marie, sans daigner seulement tirer son épée. De fait, il n’en était pas besoin, car le maudit gisait à terre, blessé et sanglant, mais plus horrible que pitoyable. À cause de cette aventure, le duc fit publier par toute sa terre que chacun serait tenu de veiller, pendant une nuit, le corps de ses parents ou amis défunts. Cette coutume s’établit promptement en Normandie, et, de là, se répandit en tous lieux.

On doit reconnaître, dans cet affreux cadavre, qui ressuscite

  1. Benoist de Sainte-More, v. 25,090.
  2. Idem, v. 25,150.