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Page:Bossard - Gilles de Rais dit Barbe-Bleue, 1886.djvu/121

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GILLES DE RAIS.

À une époque où la propriété littéraire était nulle, et où les textes, une fois livrés au public, appartenaient à tout le monde, l’auteur n’était presque pour rien dans la représentation de sa pièce, et tout l’honneur en revenait au constructeur du théâtre et à ses auxiliaires, régisseurs, décorateurs, machinistes, acteurs. Les frais de la mise en scène, de la construction et de la décoration du théâtre, étaient partagés par les municipalités, les églises, les particuliers ; les organisateurs formaient une espèce de corporation très nombreuse. Le maréchal de Rais, lui, prenait sur son trésor les sommes immenses qu’exigeaient les représentations. Et quelles sommes ! Quelques années après lui, René d’Anjou, ayant fait représenter à ses frais la Résurrection (1456), déboursait, pour payer cette fantaisie, une somme énorme. En cela rien n’étonne, quand on s’imagine quelles étaient la mise en scène et la disposition du théâtre.

Pour faire jouer les drames religieux ou profanes de son temps, Gilles de Rais faisait à chaque fois élever « de grands et haults eschaffauts » dont la construction coûtait des sommes immenses[1]. Car le lieu du théâtre était bien différent de ce qu’il a été au siècle de Corneille et de Racine, et de ce qu’il est encore de nos jours. On n’avait point encore imaginé de clore la scène entre quatre murs et un plafond, de reproduire à la voûte d’une salle un ciel enfumé, et de représenter, pour tromper les yeux, de grands horizons sur papier peint ; la foule n’était point entassée, pour des heures et parfois durant des journées entières, à la lueur de flambeaux, dans une salle étouffante, au milieu d’une atmosphère corrompue. Comme à Athènes le théâtre de Bacchus, celui du moyen âge était construit en plein air, avec le ciel pour dôme, les rues de la ville et les perspectives lointaines de la campagne pour horizon. De nos jours, le lieu de la scène est unique et de peu d’étendue ; au XVe siècle elle était multiple selon les besoins du drame, et s’allongeait sur un

  1. Mémoire des Héritiers, fo 10, ro.