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GILLES DE RAIS.

les entrailles. Puis, — l’histoire se refusera à le croire, — ce sont des rires répondant aux cris et aux gémissements de la victime ; à sa terreur mortelle, une joie monstrueuse. Penché sur elle, dans sa passion sanguinaire quelquefois il s’assied sur sa poitrine ; il suit avec ses complices les progrès de la mort, « plus content, dit-il, de jouir des tortures, des larmes, de l’effroi et du sang que de tout autre plaisir[1]. » Rien ne l’émeut, ni les larmes, ni les prières, ni les regards qui parlent encore, et si éloquemment, quand les lèvres se taisent ; que dis-je, rien ne l’émeut ? Ce qui briserait un cœur de rocher fait sa plus grande joie et ne provoque chez cet homme qu’un rire féroce, en lui donnant un surcroît de plaisir, qui ajoute encore à l’horreur d’une pareille agonie. Mais enfin la mort est victorieuse des retards calculés, apportés à sa marche par la science ingénieuse du meurtrier ; un dernier effort arrache l’âme à ses liens coupés de toutes parts : elle s’échappe pour aller porter aux pieds du Créateur le cri du sang et de la vengeance[2]. Pour Gilles, c’est le moment d’une nouvelle jouissance, d’un nouveau spectacle : car tout dans sa vie peut se résumer en ces deux mots qui la caractérisent, spectacle et sensation. Il demande quelquefois la plus belle tête, et il se constitue autour de lui un jury de la beauté de ces figures mortes, où la vie, nouvellement éclose, a laissé encore quelques traces de ses grâces naïves et de ses fraîches couleurs. Lorsque les juges se sont prononcés, que l’artiste lui-même a fait son choix, il prend cette tête, il la contemple avec amour ; dans son enthousiasme, effroyable amant de la beauté, il la baise avec une volupté si étrange, qu’en vérité, pour écrire ces choses, on a besoin de retourner encore une fois aux sources trop authentiques et trop claires de la justice et de la vérité[3] : on se demande si

  1. Proc. ecclés., Conf. de Gilles, p. xlix ; de Poitou, p. lxxv, lxxxvii ; de Henriet, p. cxviii. — Proc. civ., Conf. de Gilles, fo 393.
  2. Proc. ecclés., Acte d’accusation, art. xxvii, p. xxiv.
  3. Proc. ecclés., Conf. de Gilles, xlix ; de Poitou, p. xcii ; de Henriet, p. cxviii. — Proc. civ., Conf. de Henriet, fo 381, ro ; de Gilles, fo 393.