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EUSTACHE BLANCHET.

veiller sur sa langue à Machecoul, s’il voulait y demeurer en sûreté. Mais, pour résister désormais à la démangeaison de parler, pas n’était besoin à Eustache Blanchet de tant de recommandations.

Les craintes de Gilles trouvaient donc un écho dans ses complices : la peur leur était continuelle, surtout dans les derniers temps, et la peur les rendait terribles aux curiosités indiscrètes. On en trouve les traces partout : à l’épisode que nous venons de raconter, il nous suffira d’ajouter ce récit d’une femme qui en fut la victime. Comme le maréchal demeurait souvent à Machecoul dans les derniers mois de sa liberté, Prélati et l’un de ses compatriotes, Lenano, marquis de Ceva, s’étaient établis dans la ville, où ils avaient loué, chez un habitant nommé Clément Rondeau, une chambre haute dans laquelle ils couchaient ensemble[1]. Leur hôte étant tombé malade, fut bientôt réduit à la dernière extrémité et « mis en onction », si bien que, suivant le mot curieux de Perrine, sa femme, de qui nous avons ces détails, « on espérait plus la mort que la vie. » Abattue par cette espérance[2], Perrine faisait entendre dans toute la maison « moult lamentations » ; tellement, que, « vu les pleurs et douleurs qu’elle menait de son dit mary », on fut obligé, pour le repos du pauvre malade si bruyamment regretté, de la renfermer dans la chambre de Prélati et du marquis de Ceva. Ceux-ci étaient alors au château ; mais leurs pages, qu’ils avaient laissés dans leur chambre, y soupaient ensemble. Perrine était tout

  1. Lenano, marquis de Ceva, qui reparaît ici pour la seconde fois, était d’une grande famille de Piémont, en Italie. Un poète du xve siècle, Antoine Astezan, secrétaire du duc Charles d’Orléans, dans son poème de Varietate Fortunæ, composé en 1447, a chanté cette famille comme une branche de la famille de Montferrat et de Saluces, dont elle partagerait les origines héroïques. Le personnage, dont il est ici question, était sans doute un de ces aventuriers italiens dont Gilles aimait à s’entourer. Il occupait probablement une des charges militaires les plus importantes que Gilles avait distribué autour de lui. Il est constant toutefois, d’après Poitou (Proc. civ., fo 389, vo), qu’il ignora toujours les crimes secrets de Gilles de Rais. Il comparut, dans les Procédures ecclésiastiques, comme témoin du sacrilège commis à Saint-Étienne-de-Mer-Morte.
  2. Dans l’ouest de la France, espérer se dit encore pour attendre.