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Page:Bossard - Gilles de Rais dit Barbe-Bleue, 1886.djvu/264

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L’ENQUÊTE SECRÈTE.

blable au bruit lointain de la mer qui monte : or, toutes ces rumeurs disaient que Gilles de Rais, le seigneur puissant, le célèbre maréchal, était l’homme, qui, depuis huit ans, enlevait des enfants dans tout le pays d’alentour ; qu’il se passait, entre ses familiers et lui, au fond de ses châteaux et jusque dans son hôtel de la Suze, à quelques pas seulement de la demeure de l’évêque et du palais ducal, des scènes monstrueuses, des crimes inouïs. Chaque jour le bruit de ces voix accusatrices, qui s’élevaient de la foule, devenait plus fort, plus lamentable ; on ne pouvait plus douter, que, sous la rumeur populaire, il n’y eût quelque drame caché, horrible, s’il fallait s’en rapporter aux récits qui circulaient secrètement dans la ville et les environs de Nantes[1]. L’évêque, Jean de Malestroit, se trouvait en tournées pastorales, écoutant avec attention, mais avec prudence, des bruits aussi graves, qui constituaient clairement ce que le droit ecclésiastique de cette époque appelle la clamosa insinuatio, qui devait précéder l’enquête secrète, inquisitio famœ[2]. Leur gravité, qui ne lui permettait pas de les rejeter, lui défendait également de les accueillir à la légère. Si ce n’est durant une visite pastorale, que lui parvint la nouvelle de ce qui s’était passé à Saint-Étienne-de-Mer-Morte, du moins la visite de l’évêque la suivit de fort près, si même elle ne fut pas déterminée par cet incident aussi grave qu’imprévu. Dès cet instant, l’évêque de Nantes devenait plus libre à l’égard du baron de Rais. Ainsi, en même temps que le duc poursuivait, pour son propre compte, le grand seigneur révolté, l’évêque de Nantes, pour le compte de l’Église et du pauvre peuple, se préoccupa de faire la lumière sur la vie cachée du meurtrier. L’enquête secrète fut décidée dans la ville et le diocèse de Nantes.

Elle eut lieu au cours d’une de ces visites pastorales, que les évêques devaient accomplir, conformément aux capitulaires

  1. On se souvient des bruits que nous avons rappelés plus haut.
  2. Selon la règle : « Inquisitionem debet clamosa insinuatio prævenire. »