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GILLES DE RAIS.

de Gilles, à coup sûr, il ne saurait éviter les justes sévérités de l’histoire.

Si l’on a pu discuter sur les motifs qui déterminèrent Jean V à agir, on ne peut nier toutefois cette intervention, ni méconnaître qu’elle fut efficace. Mais, il faut dire ici quels furent véritablement, dans le procès de Gilles de Rais, le rôle de la justice ducale, ses lenteurs, ses hésitations, ses ménagements.

Dans les poursuites exercées contre le maréchal de Rais, nous avons vu que le duc s’était laissé prévenir par l’évêque de Nantes : il était presque inévitable qu’il en fût ainsi, vu le caractère de Jean V et surtout les liens qui l’attachaient à Gilles de Rais. Les ménagements dont il usa envers le maréchal, ont laissé des preuves manifestes. Au même moment où l’évêque de Nantes terminait l’enquête secrète commencée contre Gilles, après l’attentat de Saint-Étienne-de-Mer-Morte, au mois de juillet 1440, peut-être pour régler les amendes pécuniaires dont le baron révolté avait été frappé, Jean V le recevait publiquement à Josselin[1]. Il semble que, par crainte ou par politique, le duc n’ose agir contre un tel personnage, ou qu’il redoute de mécontenter les grands de Bretagne. Il faut que l’évêque marche devant lui : l’enquête civile ne commence qu’après l’arrestation du maréchal et quand est finie l’enquête ecclésiastique ; elle sort des habitudes de la justice séculière ; elle n’est pas faite au grand jour ; elle a les allures de l’enquête secrète faite par l’évêque ; elle est tronquée, par morceaux, incohérente dans la forme et dans la marche ; elle contient des restrictions à l’avantage de l’accusé ; on s’en rapportera surtout à la cour ecclésiastique : mais, sans plus attendre, la justice ducale n’hésite pas à frapper immédiatement Henriet et Poitou, deux vilains, deux misérables sans doute, moindres coupables pourtant que Gilles, leur maître. C’était, ce semble, une habitude en Bretagne, au temps de Jean V, que les comparses fussent punis

  1. Proc. ecclés., p. lxxi.