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ORIGINE DU CONTE.

l’imagination du peuple. Or, le conte de Barbe-Bleue, que nous retrouvons dans nos contrées de l’ouest, comme la plupart des contes bretons et vendéens, appartient certainement à cet ordre si curieux de choses et d’idées : ce qui fait croire que nous avons en lui la forme primitive de Barbe-Bleue. Les teintes de christianisme que Charles Perrault lui a données, aussi bien que les traits de mœurs de la société de Versailles, qui y foisonnent, sont des additions relativement modernes. Il n’y a pas jusqu’à cette fantaisie étrange de désirer mourir dans ses habits de noces, qui ne donne à la femme du Barbe-Bleue vendéen un air d’antiquité, plus conforme aux idées et aux mœurs du conte et plus reculée que le xviie siècle : elle est sœur des fées et des Belles au bois dormant. La femme du Barbe-Bleue de Charles Perrault rappelle clairement le xviie siècle ; elle a vécu à l’hôtel de Rambouillet ; elle est sœur de Mme de La Fayette ou de Mme de Motteville ; et si Mme de Sévigné eût été menacée de mort par un terrible Barbe-Bleue, son mari, on n’imagine point qu’elle eût demandé comme dernière grâce autre chose qu’un demi-quart d’heure pour se préparer à bien mourir.

Avec ce palais de gourmet délicat, j’allais dire délié, qui le distingue, Charles Perrault a trouvé, ce me semble, au fruit naturel un peu d’âcreur ; comme un jardinier habile, il l’a cultivé, mais au risque de le rendre un peu fade ; il lui a enlevé celle âcreur sauvage, mais en lui ôtant aussi ce je ne sais quoi de très subtil qu’a cette saveur ancienne. En un mot, si le conte vendéen dont nous parlons a précédé celui de Perrault, on s’explique qu’il ait pu subsister à côté de lui ; mais s’il l’a suivi, on ne comprend pas qu’il ait pu naître. Parmi les roses, il y en a une multitude qui sont fort belles ; mais il est vrai de dire pourtant qu’il n’y en a qu’une seule qui soit la vraie, celle de nos haies vives. On s’imagine très bien que toutes ces roses bâtardes puissent provenir, par la culture, de la fleur de l’églantier sauvage ; mais on ne s’imagine pas qu’on puisse tirer l’églantier des rosiers cultivés. Perrault aimait la rose des jardins de Versailles,