Page:Bossard - Gilles de Rais dit Barbe-Bleue, 1886.djvu/423

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
400
GILLES DE RAIS, BARBE-BLEUE.

venirs populaires n’ont jamais confondu en un seul les noms de Cômor et de Barbe-Bleue ; enfin, les peintures elles-mêmes, dont il est question, ne prouvent rien, sinon que la légende de sainte Triphine s’est modelée, dans la pensée de l’artiste, sur le conte bien connu de Barbe-Bleue, peut-être même sur celui de Perrault. Voyez plutôt le fond de la légende, d’après les Grandes Cronicques d’Alain Bouchard.

« Cômor, un roi breton du vie siècle, avait déjà fait périr plusieurs femmes, et Guérok, comte de Vannes, lui refusait sa fille Triphine. Vaincu enfin par les instances du roi, il finit par la lui accorder « moyennant la promesse, qu’à la requeste du roi Comorus, M. Saint-Gildas lui fait de la bien traicter et de la lui restituer saine et franche, quand il la lui requerrait. » Quelque temps après son mariage, la reine apprend que son mari tue ses femmes, dès qu’il s’aperçoit qu’elles deviennent enceintes, et, craignant de mourir comme les autres, elle s’enfuit vers son père : mais Cômor, l’ayant poursuivie, l’atteint dans un petit bocage où elle s’était cachée, et lui tranche la tête. Plongé dans la désolation, le comte Guérok, son père, mande Saint-Gildas et le supplie de tenir sa promesse. Le saint se rend aussitôt auprès du cadavre et par ses prières et par ses larmes il obtient du ciel la résurrection de sainte Triphine. » Même dans les détails, que l’auteur de la Vie des Saints de la Bretagne Armorique ajoute au meurtre de la sainte, la légende ne se rencontre que bien vaguement avec le conte de Barbe-Bleue. « Alors la pauvre dame se jette à genoux devant lui, les mains levées au Ciel et les joues baignées de larmes, luy crie mercy ; mais le cruel bourreau ne tient compte de ses pleurs, l’empoigne par les cheveux, lui desserre un grand coup d’épée sur le col, et lui avale la tête de dessus les espaules.[1] » Cette légende se trouve encore, mais sans plus d’analogie avec le conte, dans les œuvres de Dom Lobineau[2]. Aussi l’on n’aurait jamais

  1. Vie des Saints de la Bretagne Armorique ; Rennes, 1680, in-4o, p. 16.
  2. D. Lobineau, Hist. de Bretagne, in-fol., p. 75. — Alain Bouchard, Grandes Cronicques, in-fol., Nantes, 1531, p. 52.