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GILLES DE RAIS.

soulevées. Prières et menaces eurent sur lui l’effet ordinaire qu’elles produisent sur de tels caractères ; il répondit avec la hauteur propre à ces jeunes écervelés ; il éloigna sa femme et ses proches de sa présence ; ses amis ne furent plus à même de l’approcher ; il s’entoura d’adulateurs et alla même jusqu’à laisser à leurs caprices, non seulement sa fortune, mais encore son sang et l’avenir de sa fille unique. Cette conduite lui fit des ennemis dans sa famille, dans l’armée, à la cour ; et, tant pour se soustraire à leur censure que pour se livrer à la recherche et à la production de cet or, qu’il lui fallait à tout prix et qui commençait à lui manquer, et aussi à la perversion de son cœur qui aimait l’ombre et les ténèbres, il se retira dans ses terres, d’où il ne sortit plus guère que pour étonner les hommes par son luxe et plus encore par le hideux spectacle de ses infamies. Car peut-être est-il bon de remarquer que ce qu’on nomme la retraite du maréchal n’est en réalité, comme les faits cités plus haut le démontrent, qu’une présence plus rare à la cour et dans l’armée. C’est alors qu’intervint entre sa famille et lui l’arrêt de Charles VII ; c’est alors aussi qu’il trouva contre Charles VII et sa famille l’appui peu honorable du duc de Bretagne. L’alliance que Jean V, par cupidité, fit à cette époque avec le maréchal, prouve que la retraite de Gilles de Rais fut la conséquence de ses prodigalités. L’histoire en indique cependant une autre cause, plus cachée, parce qu’elle est plus honteuse ; mais il ne faut pas anticiper sur les événements ; c’est assez de remarquer ici le rapport évident qu’il y a entre les crimes et la retraite prématurée du maréchal de Rais. Il avait tout au plus vingt-six ans.

Il faut donc clore ici le récit de ses belles actions pour entrer dans celui de ses folles dépenses et de ses crimes. En terminant, si le regard se porte sur la carrière militaire qu’il a parcourue si rapidement, un sentiment tout ensemble doux et triste envahit l’âme ; triste, à la pensée que le chemin de la gloire aboutit à la honte ; doux, car le spectacle de son dévouement pour la France et pour Jeanne d’Arc, auquel le