Nietzsche a fort embarrassé la critique philosophique, qui ne sait encore comment le classer et le définir. Est-il idéaliste ou matérialiste, panthéiste ou athée ? Il est tour à tour l'un et l'autre, et nul n'a usé autant que lui de la permission qui est donnée aux philosophes de se contredire. On ne saurait même dire si Nietzsche est plutôt un philosophe, ou un moraliste, ou simplement un poète en prose. Il ne rentre entièrement dans aucun des cadres où l'on range d'ordinaire les gens qui écrivent, et c'est du moins chez lui une preuve d'originalité.
Nietzsche n'a aucune place dans la classification générale des écoles philosophiques ; il a rompu de bonne heure ses liens avec le passé. Comme tout esprit, quelque original qu'il soit, il a eu des prédécesseurs ou des contemporains sur lesquels il s'est formé ; il a subi des influences ; mais il s'en est affranchi presque aussitôt. Il y a deux manières de se comporter vis-à-vis d'une influence étrangère : c'est de se laisser déterminer par elle, ou de réagir contre elle. La manière de Nietzsche a toujours été la dernière ; la plupart de ses idées lui ont été suggérées