Page:Bossuet - Textes choisis et commentés par H. Brémond, tome 1 - 1913.djvu/213

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dans l’histoire du Fils de Dieu. Pendant que tous les peuples courent à lui, et que leurs acclamations ne lui promettent rien moins qu’un trône, il méprise tellement toute cette vaine grandeur, qu’il déshonore lui-même et flétrit son propre triomphe par son triste et misérable équipage. Mais ayant foulé aux pieds la grandeur dans son éclat, il veut être lui-même l’exemple de l’inconstance des choses humaines, et dans l’espace de trois jours, on a vu la haine publique attacher à une croix celui que la faveur publique avait jugé digne du trône. Par où nous devons apprendre que la fortune n’est rien, et que non seulement quand elle ôte, mais même quand elle donne, non seulement quand elle change, mais même quand elle demeure, elle est toujours méprisable. Je commence par [ses] faveurs, et je vous prie, Messieurs, de le bien entendre.

PREMIER POINT

J’ai donc à faire voir dans ce premier point que la fortune nous joue, lors même qu’elle nous est libérale. Je pouvais mettre ses tromperies dans un grand jour, en prouvant, comme il est aisé, qu’elle ne tient jamais ce qu’elle promet ; mais c’est quelque chose de plus fort de montrer qu’elle ne donne pas cela même qu’elle fait semblant de donner. Son présent le plus cher, le plus précieux, celui qui se prodigue le moins, c’est celui qu’elle nomme puissance. C’est celui-là qui enchante les ambitieux, c’est celui-là dont ils sont jaloux à l’extrémité, si petite que soit la part qu’elle leur en fait. Voyons donc si elle le donne véritablement, ou si ce n’est point peut-être un grand nom par lequel elle éblouit nos yeux malades.

Pour cela il faut rechercher quelle puissance nous pouvons avoir, et de quelle puissance nous avons besoin durant cette vie. Mais, comme l’esprit de l’homme s’est fort égaré dans cet examen, tâchons de le ramener à la droite voie par une excellente doctrine de saint Augustin (Livre XIII de la Trinité). Là, ce grand homme pose pour principe une vérité importante, que la félicité demande deux choses : pouvoir ce qu’on veut, vouloir ce qu’il faut : Posse quod velit, velle quod oportet. Le dernier, aussi nécessaire : car comme, si vous ne pouvez pas ce que vous voulez, votre volonté n’est pas satisfaite ; de même, si vous ne voulez pas ce qu’il faut, votre volonté n’est pas réglée ; et l’un et l’autre l’empêche d’être bienheureuse,