Page:Bossuet - Textes choisis et commentés par H. Brémond, tome 1 - 1913.djvu/215

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sance ne lui a servi qu’à l’engager contre sa pensée dans le crime du déicide. C’est donc le dernier des aveuglements, avant que notre volonté soit bien ordonnée, de désirer une puissance qui se tournera contre nous-mêmes et sera fatale à notre bonheur, parce qu’[elle] sera funeste à notre vertu.

Notre grand Dieu, messieurs, nous donne une autre conduite ; il veut nous mener par des voies unies, et non pas par des précipices. C’est pourquoi il enseigne à ses serviteurs, non à désirer de pouvoir beaucoup, mais à s’exercer à vouloir le bien ; à régler leurs désirs avant que de songer à les satisfaire ; à commencer leur félicité par une volonté bien ordonnée, avant que de la consommer par une puissance absolue.

Mais il est temps, chrétiens, que nous fassions une application plus particulière de cette belle doctrine de saint Augustin. Que demandez-vous, ô mortels ? Quoi ? que Dieu vous donne beaucoup de puissance ? Et moi, je réponds avec le Sauveur : « Vous ne savez ce que vous demandez. » Considérez bien où vous êtes ; voyez la mortalité qui vous accable, regardez « cette figure du monde qui passe ». Parmi tant de fragilité, sur quoi pensez-vous soutenir cette grande idée de puissance ? Certainement un si grand nom doit être appuyé sur quelque chose : et que trouverez-vous sur la terre qui ait assez de force et de dignité pour soutenir le nom de puissance ? Ouvrez les yeux, pénétrez l’écorce : la plus grande puissance du monde ne peut s’étendre plus loin que d’ôter la vie à un homme ; est-ce donc un si grand effort que de faire mourir un mortel, que de hâter de quelques moments le cours d’une vie qui se précipite d’elle-même ? Ne croyez donc pas, chrétiens, qu’on puisse jamais trouver du pouvoir où règne la mortalité : Nam quanta potentia potest esse mortalium ? Et ainsi, dit saint Augustin, c’est une sage providence : le partage des hommes mortels, c’est d’observer la justice ; la puissance leur sera donnée au séjour d’immortalité : Teneant mortales justitiam, potentia immortalibus dabitur.

Que demandons-nous davantage ? Si nous voulons ce qu’il faut dans la vie présente, nous pourrons tout ce que nous voudrons dans la vie future. Réglons notre volonté par l’amour de la justice : Dieu nous couronnera en son temps par la communication de son pouvoir. Si nous donnons ce moment de la vie présente à composer nos mœurs, il donnera l’éternité tout entière à contenter nos désirs. Je crois que vous voyez maintenant, messieurs, quelle sorte