Page:Bossuet - Textes choisis et commentés par H. Brémond, tome 1 - 1913.djvu/219

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que de grands sentiments pour l’Église ! que de saints règlements pour un diocèse. Au milieu de ces desseins charitables et de ces pensées chrétiennes, ils s’engagent dans l’amour du monde, ils prennent insensiblement l’esprit du siècle ; et puis, quand il[s] sont arrivés au but, il faut attendre les occasions, qui ne marchent qu’à pas de plomb, et qui enfin n’arrivent jamais. Ainsi périssent tous ces beaux desseins et s’évanouissent comme un songe toutes ces grandes pensées.

Par conséquent, chrétiens, sans soupirer ardemment après une plus grande puissance, songeons à rendre bon compte de tout le pouvoir que Dieu nous confie. Un fleuve, pour faire du bien, n’a que faire de passer ses bords ni d’inonder la campagne ; en coulant paisiblement dans son lit, il ne laisse pas d’arroser la terre et de présenter ses eaux aux peuples pour la commodité publique. Ainsi, sans nous mettre en peine de nous déborder par des pensées ambitieuses, tâchons de nous étendre bien loin par des sentiments de bonté ; et, dans des emplois bornés, ayons une charité infinie. Telle doit être l’ambition du chrétien, qui, méprisant la fortune, se rit de ses vaines promesses, et n’appréhende pas ses revers, desquels il me reste à vous dire un mot dans ma dernière partie.

SECOND POINT

La fortune, trompeuse en toute autre chose, est du moins sincère en ceci, qu’elle ne nous cache pas ses tromperies ; au contraire, elle les étale dans le plus grand jour, et, outre des légèretés ordinaires, elle se plaît de temps en temps d’étonner le monde par des coups d’une surprise terrible, comme pour rappeler toute sa force en la mémoire des hommes, et de peur qu’ils oublient jamais ses inconstances, sa malignité, ses bizarreries. C’est ce qui m’a fait souvent penser que toutes les complaisances de la fortune ne sont pas des faveurs, mais des trahisons ; qu’elle ne nous donne que pour avoir prise sur nous, et que les biens que nous recevons de sa main ne sont pas tant des présents qu’elle nous fait que des gages que nous lui donnons pour être éternellement ses captifs, assujettis aux retours fâcheux de sa dure et malicieuse puissance.

Cette vérité, établie sur tant d’expériences convaincantes, devrait détromper les ambitieux de tous les biens de la terre ; et c’est au contraire ce qui les engage. Car, au lieu d’aller à