Page:Bossuet - Textes choisis et commentés par H. Brémond, tome 1 - 1913.djvu/298

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pas que les Merciens, les Danois et les Saxons aient tellement corrompu en eux ce que nos pères leur avaient donné de bon sang qu’ils soient capables de s’emporter à des procédés si barbares s’il ne s’y était mêlé d’autres causes. Qu’est-ce donc qui les a poussés ? Quelle force, quel transport, quelle intempérie a causé ces agitations et ces violences ? N’en doutons pas, Chrétiens : les fausses religions, le libertinage d’esprit, la fureur de disputer des choses divines sans fin, sans règle, sans soumission a emporté les courages. Voilà les ennemis que la reine a eu à combattre, et que ni sa prudence ni sa douceur ni sa fermeté n’ont pu vaincre.

J’ai déjà dit quelque chose de la licence où se jettent les esprits quand on ébranle les fondements de la religion et qu’on remue les bornes une fois posées. Mais, comme la matière que je traite me fournit un exemple manifeste et unique dans tous les siècles de ces extrémités furieuses, il est, Messieurs, de la nécessité de mon sujet de remonter jusques au principe, et de vous conduire pas à pas par tous les excès où le mépris de la religion ancienne, et celui de l’autorité de l’Eglise, ont été capables de pousser les hommes.

Donc la source de tout le mal est que ceux qui n’ont pas craint de tenter au siècle passé la réformation par le schisme, ne trouvant point de plus fort rempart contre toutes leurs nouveautés que la sainte autorité de l’Eglise, ils ont été obligés de la renverser. Ainsi les décrets des conciles, la doctrine des Pères, et leur sainte unanimité, l’ancienne tradition du Saint-Siège et de l’Eglise catholique n’ont plus été comme autrefois des lois sacrées et inviolables. Chacun s’est fait à soi-même un tribunal où il s’est rendu l’arbitre de sa croyance ; et, encore qu’il semble que les novateurs aient voulu retenir les esprits en les renfermant dans les limites de l’Ecriture sainte, comme ce n’a été qu’à condition que chaque fidèle en deviendrait l’interprète et croirait que le Saint-Esprit lui en dicte l’explication, il n’y a point de particulier qui ne se voie autorisé par cette doctrine à adorer ses inventions, à consacrer ses erreurs, à appeler Dieu tout ce qu’il pense. Dès lors on a bien prévu que, la licence n’ayant plus de frein, les sectes se multiplieraient jusqu’à l’infini ; que l’opiniâtreté serait invincible ; et que, tandis que les uns ne cesseraient de disputer, ou donneraient leurs rêveries pour inspirations, les autres, fatigués de tant de folles visions, et ne pouvant plus reconnaître la majesté de la religion déchirée par tant de sectes, iraient enfin chercher un