du chevalier s’étaient machinalement portes sur un journal déplié sur la table. Quelle n’avait pas été sa surprise d’apprendre qu’on annonçait son mariage, oui son mariage à lui que n’avait torturé aucune idée matrimoniale. On comprendra dès lors l’impétuosité claironnante de ses jurons méridionaux.
Il tendit le journal à son ami le comte de Beaulieu. Celui-ci lut, sous la rubrique des mondanités : « On annonce le mariage de M. le chevalier Gaston Terrail de Bayard d’Arsac, comte de Savignac, avec Madame la baronne Marguerite de Carteret. La cérémonie aura lieu demain lundi, à 11 heures du matin, en l’église de Carteret. On sait que M. le comte de Savignac plus connu sous le titre de chevalier d’Arsac, est le dernier descendant du grand Bayard, le célèbre « chevalier sans peur et sans reproche ». Quant à Mme la baronne de Carteret, elle est issue d’une vieille noblesse normande dont le premier du nom fut Enguerrand, seigneur de Carteret, qui vivait au Xe siècle. Comme on le voit, le mariage de demain consacre l’union de deux grands noms plusieurs fois illustrés dans l’histoire de notre pays. »
— Eh bien ! qu’en pensez-vous ? demanda le chevalier d’Arsac à son ami, quand celui-ci eut terminé la lecture de l’articulet.
— Hum !… je n’en pense rien… sinon que c’est étrange…
— Étrange, dites plutôt, mon cher ami, que c’est triste…
— Connaissez-vous la baronne de Carteret ?
— Je n’en ai jamais entendu parler.
— Comment expliquez-vous ce mariage ? Auriez-vous un homonyme ? Y aurait-il un second chevalier Gaston Terrail de Bayard d’Arsac ?
Le chevalier bondit sur sa chaise :
— Y songez-vous ? Un second chevalier d’Arsac… Ça, c’est impossible !… Non, mon cher comte, il y a et il n’y aura jamais qu’un chevalier d’Arsac. Je suis le dernier descendant du grand Bayard et l’unique possesseur de ce nom glorieux…
— Mais alors ?…
— Mais, comte, je ne vois qu’un moyen de tirer cette affaire au clair : c’est de me rendre sans tarder sur les lieux… à Carteret, et de voir ce qui s’y passe.
— Garçon ! cria-t-il, l’horaire des trains.
Quelques instants après, d’Arsac feuilletait les tableaux indiquant les départs…
— Mordious ! dit-il, je n’ai pas de temps à perdre. Voici un express qui part dans trente-cinq minutes. Excusez-moi de vous fausser compagnie…
— Mais, mon cher chevalier, vous n’allez pas, j’espère, partir avant d’avoir déjeuné…
— Mais si… excusez-moi, je pars à l’instant. Il faut, battre le fer tant qu’il est chaud. Peut-être arriverai-je encore à temps pour arranger cette affaire extraordinaire. Garçon, hélez une auto.
Moins d’une minute après, le chevalier, après avoir serré les mains de son ami, partait à toute vitesse. Arrivé à la gare, il sauta dans l’express qui l’emporta vers la Normandie.
Durant le trajet, il songea à cette étrange aventure dont il était le héros.
— Que signifie ce mariage ? se demandait-il. Il n’est pas possible qu’il y ait un second chevalier d’Arsac portant tous mes titres, tous mes noms et jusqu’à mon prénom. Je ne suis pas fou pourtant ; je n’ai jamais songé à convoler en justes noces. Et cette baronne de Carteret, qu’est-ce pour une vieille dinde ? Voyez-vous le descendant du grand Bayard végétant dans un petit village de province… Ah ! non ! il est temps que je mette ordre à cela !…
Durant tout le trajet, le chevalier s’énerva, s’excita, se monta la tête, si bien que ce fut animé d’une fureur homérique qu’il arriva devant le château de Carteret.
L’habitation avait un air de fête. On voyait les laquais passer, affairés, se bousculer.
D’Arsac en arrêta un au passage :
— Annoncez à votre maître, ordonna-t-il, le chevalier d’Arsac, comte de Savignac.