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— Ho ! Mordious ! c’est ce cher M. Morin ! je suis bien aise de vous revoir et de vous serrer la main !

Et il prit la main droite du détective et la secoua avec une telle effusion que M. Morin poussa un involontaire « aïe » de douleur.

Ce « aïe » plongea le chevalier dans la joie :

— Hé ! Sandious ! par les cornes du diable ! cher monsieur, on dirait que je vous fais mal ? Souffririez-vous du bras ? Ce serait là une bien triste coïncidence. Figurez-vous, cher monsieur, que le faux d’Arsac souffre aussi d’une petite blessure que je lui ai faite au moment où il voulait m’enterrer vivant dans une oubliette. Tenez, c’est précisément à cet endroit, laissez-moi vous montrer l’endroit.

Mais le détective retirait le bras avec une crainte à peine dissimulée.

— Je ne vous ferai pas mal, continuait le chevalier en riant toujours, mais c’est étrange que vous ayez la même blessure que ce Marcel Legay qui avait pris ma forme. Au fait, j’y songe. Il y a tant de coïncidence dans la vie, vous avez au bras la même blessure que Legay, vous avez aussi le vêtement qu’il portait aujourd’hui et — il faut s’attendre à tout — je ne serais pas surpris de trouver dans une de vos poches, tenez, oui, là, dans celle-ci, la perruque ainsi que la moustache et la « royale » postiche qu’il portait, il n’y a pas dix minutes. Mais oui, en effet, tenez voilà la perruque ! Quelle coïncidence, cher monsieur Morin.

D’un mouvement brusque, le chevalier d’Arsac avait plongé la main dans la poche intérieure du détective et il en avait retiré une perruque qu’il brandissait comme un trophée.

Le détective était blême de fureur.

D’Arsac continuait implacable :

— Vous semblez, cher monsieur, avoir sur vous toute une merveilleuse collection de perruques et je ne serais pas surpris que vous en portiez une jusque sur la tête.

Avant d’avoir terminé ces mots, le chevalier avait de nouveau, en un tour de main, enlevé la toison grisonnante qui couvrait le front du détective. Celui-ci apparut, rajeuni de vingt ans ; c’était maintenant le visage d’un jeune homme blond qui apparaissait à tous les regards.

— Voilà maintenant que le détective Morin ressemble à un gentilhomme-cambrioleur de mes amis. Messieurs, je vous présente Monsieur Marcel Legay, l’Homme-Protée, l’Homme…

Mais il ne put achever. Le pseudo-détective venait de brandir un revolver. D’Arsac n’eut que le temps de sauter sur lui, d’un bond de tigre, et de le terrasser dans l’escalier. Des coups de feu retentirent et les balles ricochèrent sur les murs. Un instant, après, le faux Morin était maîtrisé. Le commissaire lui fit mettre la camisole de force par un de ses hommes.

Au cours de l’instruction qui suivit cette arrestation mouvementée, Marcel Legay entra dans la voie des aveux. Il fit cyniquement le récit de ses aventures. C’était le faible de ce gentilhomme-cambrioleur de dévoiler sa façon de procéder : cet homme qui avait l’art de se grimer et de se métamorphoser comme le meilleur des acteurs, avait aussi le travers des cabotins. Il aimait à parader, à faire montre de ses talents divers, il avait un bagout infernal et il parlait trop. La justice connut ainsi le mot de toutes les énigmes.

Marcel Legay raconta comment il avait eu l’idée de se substituer en chevalier d’Arsac pour épouser une riche héritière et de s’emparer de sa dot. Après son échec au château de Beaulieu, il avait voulu prendre une revanche éclatante.

Il était parti de ce principe qu’il ne viendrait à l’esprit de personne qu’il eût l’audace de rentrer de nouveau dans la peau de d’Arsac. L’arrivée de celui-ci, qu’il croyait en Afrique, avait contrecarré ses projets. Mais il avait résolu de ne point abandonner la partie. Lors de la venue insolite du chevalier, il avait d’abord fui prudemment, puis il avait télégraphié à six de ses complices habituels et les avait fait venir à Carteret.