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Page:Bouchardy - Gaspardo le pêcheur.djvu/13

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GASPARDO.

quiétude est si grande. » Et, tandis que je m’empresse de revenir, elle dort !… Mais j’ai cru, je crois encore… Du sang !… Catarina frappée !… du secours !… du secours ! Catarina… tu ne me réponds pas… ton cœur ne bat plus !… morte ! oh ! malheur ! Mon Dieu, Seigneur… (Se redressant.) Qui me l’a tuée ? qui, qui donc ? (À la madone.) Sainte Vierge ! Sainte Vierge des Douleurs, dites-moi qui m’a tué ma femme… montrez-moi son ombre, une trace de son pas !… une trace !… un signe… quelque chose enfin ! (Après avoir cherché, il trouve le collier.) Un collier ! celui du gouverneur !… Oh ! Visconti ! Visconti !… (Se mettant à pleurer.) Tu l’as choisie pour sa beauté… et tu l’as tuée pour sa vertu !… Oh ! mais, je te tuerai, moi… (Se traînant vers le mur.) Des armes !… des armes !…

SCENE VIII.

GASPARDO, JACOPPO SFORCE.

JACOPPO, Il brise une vitre et se précipite dans la cabane. Qui que tu sois, sauve-moi !

GASPARDO, comme effrayé, s’approchant de l’étranger. Que veux-tu ?

SFORCE. La vie.

GASPARDO. Es-tu noble ?

SFORCE. Mon père était bouvier, et je suis soldat.

GASPARDO. Qui te poursuit ?

SFORCE. Les nobles et leurs archers.

GASPARDO. Que te faut-il pour leur échapper ?

SFORCE. Une barque qui me conduise à Milan, où le vieux Visconti me fera justice.

GASPARDO. Prends cette barque et ces rames… va-t’en.

SFORCE. Merci !… (S’arrêtant au fond.) Si jamais tu es dans le malheur… toi, ton père, ta mère, ta femme ou ton enfant… le porte-enseigne Jacoppo Sforce n’aura pas oublié qu’il t’aura dû son salut.

GASPARDO, à part. Mon enfant !…

SFORCE. Que le ciel te récompense !

(Il va pour sortir.)

GASPARDO, courant à lui. Mon pauvre enfant !… de grâce, écoute à ton tour…

SFORCE. Que me veux— tu ?

GASPARDO. As-tu une femme ?

SFORCE. J’en avais une… elle est morte.

GASPARDO. Des enfans ?

SFORCE. J’avais un fils, Dieu me l’a repris.

GASPARDO. Et tu les aimais ?…

SFORCE. Je les pleure depuis vingt ans.

GASPARDO. Et si, outragé de sa vertu, un noble avait assassiné ta femme lui résistant… qu’aurais-tu fait ?

SFORCE. J’aurais arraché le cœur à ce noble, et je serais mort de rage si le bourreau m’avait épargné… mais, où veux-tu en venir ?

GASPARDO. Ma femme vient d’être assassinée par le gouverneur de Plaisance…

SFORCE. Et tu veux que j’aide à ta vengeance ?

GASPARDO. Non !… non !… (Désignant le berceau.) Mais, il y a dans ce berceau mon pauvre enfant ! qui, demain, peut-être, sera l’orphelin maudit pour lequel il n’y aura ni asile, ni compassion…

SFORCE. Et que veux-tu de moi ?

GASPARDO. Si tu dois la vie au père… paie la dette à l’enfant… emporte-le dans ta fuite… Si dans huit jours tu ne m’as pas revu à Milan, tu prendras pitié, toi, de l’enfant du condamné… tu lui donneras ton nom et sa part de ton pain… tu seras sa famille, son refuge… et s’il entend parler plus tard de Gaspardo le pêcheur, tu lui diras : C’était un pauvre homme, qui est mort après avoir beaucoup souffert.

(Il tombe anéanti sur un escabeau.)

SFORCE, allant prendre l’enfant qui est dans le berceau. Donne-moi cet enfant, que je jure ici d’aimer autant que je plains son pauvre père… et tu le retrouveras à Milan !

GASPARDO. Si Dieu le permet.

SFORCE, entrant dans la barque y saisissant les rames et s’éloignant. Gaspardo, dans huit jours… à Milan.

SCENE IX.

GASPARDO, seul, suivant la barque des yeux. Demain tu ne pauvre enfant ! tu ne seras plus dans les bras de ta bonne mère… mais Dieu t’a pris en pitié, puisqu’il vient de m’envoyer cet homme… Eh !… maintenant, Gaspardo peut frapper sans retard… (Il décroche une hache.) Non !… non !… (Il la jette à terre.) Mon stylet. (Ne le voyant plus au mur.) Qu’ai-je fait de mon stylet ?… Oh ! ma raison !… ma mémoire ! ne m’abandonnez pas… encore… une heure… une heure… de calme !…