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MAGASIN THEATRAL.

CATARINA, se levant et se dirigeant sous la voûte. Si je l’embrassais sans l’éveiller.

LE PASTEUR. Et si vous l’éveilliez en l’embrassant… Songez que la Providence a donné aux enfans le sommeil pour remède à leurs maux… Ne risquez pas d’éveiller le mal, en éveillant l’enfant. Croyez-moi, Catarina, plus d’inquiétude pour lui… et songez bien que je l’ai vu naître… que chaque jour, je le vois sourire à mon approche… que je l’aime presque autant que vous pouvez l’aimer… et que je ne serais pas aussi calme s’il était en danger.

CATARINA. Oh ! oui… vous l’aimez bien, n’est-ce pas ?

LE PASTEUR. Comme si j’étais son grand-père !

CATARINA. Et s’il était assez malheureux pour devenir orphelin, vous auriez soin de lui, n’est-ce pas ?

LE PASTEUR. Oui, ma fille… mais vous êtes tous deux si jeunes, et je suis déjà si vieux, que vous devez vivre long-temps encore après moi.

CATARINA. Peut-être…

LE PASTEUR. Pourquoi de si tristes pensées ?…

CATARINA. C’est que le pressentiment d’un malheur me fait souffrir, mon père.

LE PASTEUR. Auriez-vous appris à douter de l’affection de votre époux, Gaspardo ?

CATARINA. Oh ! non, mon père ! Gaspardo est toujours ce que je l’avais jugé d’abord ; brusque, mais sensible… violent, emporté, mais loyal et généreux… et nous nous aimons plus encore qu’au premier jour.

LE PASTEUR. Qu’est-ce donc alors, ma fille ?…

CATARINA. Il y a bientôt un mois que la gondole du duc Visconti, le gouverneur, s’est engravée sur le bord du lac, et tandis que ses rameurs la remettaient à flot, le duc est venu se reposer ici.

LE PASTEUR. Et vous y étiez ?…

CATARINA. J’y étais.

LE PASTEUR. Et, sans doute, il est revenu depuis ?

CATARINA. Tous les jours.

LE PASTEUR. Et Gaspardo…

CATARINA. Gaspardo va jeter ses filets dès le point du jour, porte, pendant la journée, son poisson au marché de la ville, passe une partie de ses nuits à la taverne, et tandis que, confiant, il m’abandonne ainsi, le duc vient m’accabler d’un amour que mon dédain semble augmenter encore… J’ai pu, jusqu’alors, cacher à Gaspardo mon trouble, ma frayeur ; mais un jour, mon père, il découvrira tout, et ce même jour, la violence de sa haine pour les nobles et la force de son amour pour moi se réveilleront ensemble… il attaquera le gouverneur en face… Le gouverneur, qui charge de sa défense ses valets, ses assassins… Gaspardo deviendra leur victime… mon père ; et je sens que si Gaspardo meurt, je ne pourrai lui survivre.

LE PASTEUR. Ne désespérons pas, Catarina.

CATARINA. Hélas ! mon père, tant de malheurs nous ont atteints depuis que le duc de Milan a nommé son fils gouverneur de Plaisance…

LE PASTEUR. Vous avez raison, mon enfant… avec cet homme sont venus nos malheurs… Prenez garde, ma fille, et suivez mon conseil…

CATARINA. Que faut-il faire, mon père ?

LE PASTEUR. Exiger d’abord que Gaspardo reste sans cesse auprès de vous… et dans quelques jours, il vous faudra tous deux quitter Plaisance.

CATARINA. Oh ! oui, mon père !… mais comment décider Gaspardo à quitter sa cabane et le solde Plaisance, où il est né Comment l’y décider sans éveiller ses soupçons ?

LE PASTEUR. Nous chercherons un moyen.

SCENE II.

Les Mêmes, RAPHAËL, PIÉTRO[1].

PIÉTRO., Après avoir regardé de tous les côtés. Gaspardo n’est pas encore de retour ?

CATARINA. Pas encore.

RAPHAËL. L’heure à laquelle il rentre d’ordinaire est passée depuis long-temps.

CATARINA. Il ne peut tarder…

PIÉTRO. Nous permettez-vous, bonne Catarina, de l’attendre ici ?

CATARINA. Voulez-vous des dés pour jouer, en l’attendant ?

PIÉTRO. Non, merci… deux escabeaux pour nous asseoir… voilà tout.

(Ils s’assoient.)

LE PASTEUR. Comment, Piétro, vous refusez de jouer aux dés ?

PIÉTRO. Oui, pasteur Sanutto.

LE PASTEUR. De grâce, expliquez-moi la cause d’un si grand changement… Il y a trois mois environ, on était sûr de trouver, à toute heure du jour, Piétro le

  1. Catarina, le pasteur, Piétro, Raphaël.