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l’âge venu, il les lance au loin, il leur assigne un quartier, une ville, une commune, un arrondissement ; il les taxe à tant par jour, tant par heure, et il les châtie rudement quand ils n’ont pu se procurer le nombre de liards qu’il en attend. De son côté, la femme surveille l’exécution de ses ordres, ou bien elle va exploiter pour son compte. Tels sont chez nous les mendians ; tels sont, à quelques nuances près, tous ceux qui courent l’Europe ; presque tous sont nés mendians, et, de même qu’en France, ils se recrutent par la descendance naturelle, et aussi, comme les Mameloucks, par la conquête et l’adoption. Partout ils s’entendent, ils s’entr’aident, ils opèrent de concert et en famille, et ils gagnent ordinairement d’autant plus qu’ils sont plus nombreux. Ils ont donc en cela un intérêt directement contraire à celui de l’ouvrier, et ils ont profit à avoir le plus possible d’enfans réels ou adoptifs, qui sont pour eux d’un rapport certain, quand ils sont pour l’autre un sujet de dépense.

Cette différence de position tend à diminuer toujours le nombre des travailleurs et toujours à augmenter celui des mendians. Aussi, il y en a plus qu’il n’y en avait il y a dix ans, et dans dix ans il y en aura probablement plus qu’aujourd’hui ; et cela au détriment de toutes les classes laborieuses et notamment des moins aisées.

Déjà nous avons dit que la mendicité n’est pas la misère, mais ce qui la fait naître. Nous ajoutons : les mendians ne sont pas les pauvres mais ceux qui les créent. Consommant sans produire, lèpre attachée au corps social, ils le rongent et le minent ; et comme les membres les plus faibles succombent les premiers, ce sont les artisans qui sont réellement les premières victimes. Non-seulement ils perdent ce que les mendians leur soutirent, mais encore ce que ces mendians arrachent aux plus riches qui se croient dispensés de payer le travail quand ils ont gratifié le désœuvrement. La mendicité devient