Page:Boucher de Perthes - Voyage à Aix-Savoie, Turin, Milan, retour par la Suisse.djvu/127

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chant sur une verdure qu’elle fait paraître noire, des rocs percés ou superposés à travers lesquels ont voit le jour, de petits lacs trop froids, dit-on, pour que le poisson y vive, ce dont je doute, forment un ensemble à la fois étrange et grandiose : c’est un chaos élégant, un chaos de luxe et tel qu’on a dû en voir dans quelque partie du paradis terrestre qui n’avait pas, que je sache, la régularité des jardins de Lenôtre, mais dont pourtant je ne conteste pas le mérite. Enfin, dans ce parcours des Alpes, on se croirait dans un autre monde, et parfois dans ce qui n’est pas encore le monde. Mais à tout instant la situation change, et lorsqu’on est presqu’effrayé et qu’on se croit aux portes de l’enfer, tout d’un coup on se trouve dans une vallée charmante qui, au printemps, doit être un Éden, un paradis de fleurs.

Ces jolis vallons deviennent aussi des points dangereux pour les touristes qui s’écartent des voies tracées, et que le mauvais temps y surprend. De trop nombreuses croix y annoncent des accidents ; néanmoins ils sont, comme je l’ai dit, beaucoup plus rares pour les voitures qu’ils ne l’étaient autrefois. L’amélioration de la route, ainsi que les soins de l’administration pourvue de bons chevaux et de postillons adroits et point ivrognes, ont amené ces heureux résultats.

L’heure du départ est arrivée. Nous voici de nouveau en voiture, admirant un spectacle étrange que j’aurais pris pour un mirage, mais qui était produit par un nuage coupant horizontalement une montagne dont on découvrait le sommet couvert d’arbres, tandis que sa base avait disparu, ce qui nous montrait un jardin posé sur la nue.