Page:Boucher de Perthes - Voyage à Aix-Savoie, Turin, Milan, retour par la Suisse.djvu/166

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mouillé, mais moins que la jeune femme que j’avais rencontrée avec son mari, et dont le parapluie ne pouvait couvrir la crinoline.

Je n’avais, de toute la journée, pris qu’un petit pain ; il était six heures et demi, et je mourais de faim. On m’annonce que la table d’hôte est servie. Bonne nouvelle ! Je m’y rends. Il y a peu de monde. Je me trouve en face d’une Anglaise grande et belle, pompeusement vêtue, buvant du vin du Rhin à l’aide d’une pipette et abondamment.

Un peu plus loin, deux Anglais à figures distinguées se disputaient en français avec un garçon d’hôtel pour ne payer que vingt francs une voiture qui devait, cette nuit même, les conduire à quelques lieues de là, course dont on voulait vingt-cinq francs. Nos gentlemens, avec cette ténacité anglaise qui leur fait tenir à honneur de ne pas revenir sur un mot dit, ne voulurent jamais céder ; ils se remirent à table, et préférèrent rester à l’hôtel en dépensant probablement vingt francs ou plus pour cette prolongation de séjour, et ceci pour ne pas en payer cinq.

Bientôt entre une jeune femme assez petite et coiffée d’un chapeau rond à plume noire. Elle-même était vêtue de noir. Tout était bizarre dans sa toilette d’ailleurs très-fraîche et qui, quoique simple, annonçait la richesse. Mais l’étrangeté de ce costume n’était rien à côté de celle de sa figure : sans être belle, je n’en ai jamais vu de plus mobile et en même temps de plus expressive. Elle avait quelque chose de fascinateur qui attirait et qui effrayait. Ses sourcils noirs et épais, se joignant au-dessus d’yeux plus noirs encore, lui donnaient