Page:Boucher de Perthes - Voyage à Aix-Savoie, Turin, Milan, retour par la Suisse.djvu/33

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J’ai bien souvent, dans mes voyages,
Rencontré dans le haut pays
De ces seigneurs sans équipages
Et, nonobstant, grands personnages :
Ducs, barons, comtes ou marquis.
Oui ! ce sont gens de vieilles roches ;
Ils descendent de saint Louis,
Chevaliers sans peur ni reproches.
Mais prenez bien garde à vos poches.

Je dîne à cinq heures, à table d’hôte. Il n’est pas d’usage ici de dîner dans sa chambre, sauf le cas de maladie ; aussi la société est parfaitement composée. La table est très-bien servie. J’ai pour voisine une dame anglaise qui, probablement, n’aime pas à manger sans causer, car, contre l’usage britannique, la première et sans présentation préalable elle m’adresse la parole. Elle n’est pas jeune, mais elle est aimable et instruite. Elle sait mon nom, comme probablement tous ceux de la table, car l’usage aussi est de les afficher dans un cadre placé à cet effet dans le vestibule de l’hôtel.

Ici encore on n’avait pas manqué d’y ajouter un titre que je fis enlever le soir même. Ces malheureux titres ont compromis bien des voyageurs qui, n’ayant pas réclamé à temps, ont été ainsi désignés par la gazette officielle locale répétée par les journaux français, et l’innocent baigneur, affublé d’une qualification qu’il n’avait pas prise, se trouvait, à sa rentrée en France, coiffé d’un ridicule.

Après le dîner, je vais au Casino. Les salons sont encore vides. Je descends au jardin ; il est également désert. Le temps, calme et doux, est parfait pour la méditation ; mais un piano discordant, qu’on tapote dans le voisinage, m’écorche les oreilles : or, comment méditer quand on grince des dents ?