Page:Boucher de Perthes - Voyage à Aix-Savoie, Turin, Milan, retour par la Suisse.djvu/75

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futile et qui vous fera sourire, mais qui n’en prouve pas moins combien peuvent être puissantes et durables les impressions de l’enfance.

« J’avais six ans lorsque mon père qui, comme vous savez, habitait la campagne, me conduisit à Marseille pour m’y mettre en pension. C’était la première fois que je venais à la ville, et vous jugez si tout m’y semblait beau. Le soir, il me conduisit au spectacle. On commença par une petite pièce mêlée de chants, qui me divertit beaucoup. On donna ensuite le Festin de Pierre, de Molière. Les premiers actes m’intéressèrent, et les grimaces du valet me firent rire aux larmes. La statue du commandeur, sur son piédestal, me parut fort belle ; elle ressemblait à un saint qui était dans notre église, et je n’y voyais qu’une image de pierre. Aussi mon étonnement fut grand quand je vis cette figure remuer la tête ; cependant je fis bonne contenance, et les choses se seraient assez bien passées si la frayeur du valet, qui alors ne me faisait plus rire et que je prenais fort au sérieux, ne m’eût pas gagné, et je dis à mon père que je voulais m’en aller. Il se moqua de moi et me répondit que nous partirions quand la pièce serait finie. Je pris donc patience, mais j’étais loin de m’amuser, et toujours aux aguets, je tremblais de voir reparaître cette grande figure blanche. Aussi, au dernier acte, quand j’entendis les coups frappés par des pas lourds et retentissants, et que je vis entrer la statue, un tremblement nerveux me prit, mes membres se raidirent, et mon père m’emporta évanoui. Je passai une nuit affreuse. Le lendemain, j’avais la fièvre accompagnée de délire : à chaque bruit, je croyais toujours voir entrer le terrible