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Si maintenant nous recherchons les causes du succès de cette entreprise étonnante par sa conception comme par ses conséquences, nous les trouverons surtout dans la supériorité des hommes qui la dirigeaient. Ces hommes possédaient réellement plus de lumières que ceux qui formaient le monde officiel de la colonie. Ils se trouvaient plus directement en contact avec le plus grand mouvement des esprits qui se soit jamais produit dans le monde et qui l’a transfiguré. Ces idées devaient être particulièrement accessibles à des hommes de langue française puisque ce fut en France que ce mouvement prit naissance. La langue française, devenue au XVII siècle la plus claire et la plus parfaite du monde, servit au XVIII siècle à propager les doctrines philosophiques. Nous possédions la langue du XVII siècle, nous avions aussi les lois civiles françaises dont l’étude donne tant de netteté et de précision à l’esprit. La révolution fit penser tous les peuples. Mais tandis que en Angleterre on ne songea tout d’abord qu’à la combattre, à cause de ses odieux excès plus encore que pour ses tendances égalitaires, les Canadiens, tout en condamnant tout aussi complètement ces excès, tout en concevant une égale horreur, comprirent mieux ce qui se passait dans leur mère-patrie. Chassés de leur pays par la tourmente, un certain nombre de Français se réfugièrent au Canada. Ces hommes, pour la plupart ecclésiastiques, nourris de toute la science du vieux monde, ayant vécu dans le calme d’avant la tempête, ayant souffert de son déchaînement, trouvèrent chez nous bon accueil et quelques-uns des chaires dans nos collèges. Il était difficile de trouver des hommes mieux préparés pour le professorat au milieu d’un peuple comme le nôtre. Aimant leur patrie, tout en détestant les crimes qui s’y commettaient, ils surent séparer l’ivraie du grain. Ils donnèrent à la jeunesse des collèges la grandeur des idées modernes et la modération qu’il faut pour en user sagement. Par leur seule présence ils élevèrent le niveau des études et élargirent les horizons de leur entourage. Outre les leçons de ces professeurs, nos futurs hommes d’État canadiens avaient constamment devant eux l’exemple de nos voisins britanniques, dont la sage lenteur à prendre des déterminations et l’énergie dans l’exécution devaient les frapper profondément et les engager à les imiter. On conçoit que des esprits ainsi dirigés fussent supérieurs au monde officiel qui gouvernait la colonie. On comprend aussi que les hommes d’État d’Angleterre, toujours d’un jugement si éclairé, fussent frappés de la grandeur des idées canadiennes, de la sagesse, de la modération, du sens pratique des hommes qui les leur exposaient et qu’ils finirent par profiter des lumières qui leur venaient d’une source aussi inattendue.

C’est dans la formation de ces hommes qu’a consisté l’œuvre des collèges. Il est certain que sans eux ces hommes n’auraient pas existé, et que, sans ces hommes le Canada ne serait pas la grande nation qu’il est aujourd’hui.